Caverne d'Ali Baba
Le principal trait de génie du nouveau documentaire de Werner Herzog tient de son postulat : réunir l’extrêmement ancien et l'extrêmement récent de l'humanité. Deux branches pour un même mouvement plein de vie à travers les Âges.
L'Homme descend du singe. Le cinéma descend des peintures rupestres. Dans un même mouvement libératoire du temps, Werner Herzog les réunit. Le focus de la caméra se fixe sur les plus anciennes traces d'art humain. L'allemand, à force d'insistance, eut l'autorisation de se faire ouvrir les portes secrètes de la grotte de Chauvet, dans l'Ardèche. Un lieu précieux, sensible aux respirations de l'Homme. Le terrible exemple de Lascaux en témoigne : les peintures préhistoriques ne supportent pas l'intervention de l'Homme moderne. Sa présence apporte moisi et détérioration. Sauf que le travail de Herzog méritait bien quelques heures dans la grotte Chauvet.
Dans un documentaire didactique, il offre à découvrir un lieu à jamais fermé au grand public. La grotte des rêves perdus est une aubaine unique de remonter le temps, il y a quelques 30 000 ans, lorsque nos ancêtres marquèrent une emprunte picturale sur les parois. Des ossements de rhinocéros, de lions et même d'ours côtoient quelques traces éparses de rites religieux obscurs. Armé d'un dispositif 3D, les équipes d'Herzog captent cet espace magique. Conscient des limites du possible, ils s'évertuent à prévenir des restrictions de tournage. Par une technologie ultra-moderne, le film revigore un art ancestral. Deux chaînons opposés se retrouvent. La roche redevient vivante comme jamais, elle suinte, raconte ses histoires. Les cranes se réveillent. La fascination évidente du cinéaste dépeint sur le spectateur accaparé par les griffes d'ours.
Les aspérités racontent quelques milliers d'années de vies, de passages, de refuges. Par extension, c'est tout un mode de vie qui renaît. Celui d'Hommes de Cro Magnon au sein d'un environnement glacial. Les Alpes étaient alors recouvertes d'un énorme glacier. Les époques s'estompent dans une dynamique plus ambitieuse. Les frontales miment les torches d'antan afin de faire danser le zoo préhistorique. La volonté de redonner vie aux peintures devient totale. Dévoré, le film ne fait qu'accentuer l'admiration. Deux pics, non sans humour, rythment l'exploration des lieux. D'abord, il y a cette analyse de traces de mains de peintures rouges, incarnation saisissante d'une proximité perméable. Tout devient très concret. Cet humain est identifié, on le comprend, le suit, l'épie.
Et puis, il y a le tournant métaphysique avec le confectionneur de parfum. Ce « nez » n'apporte aucune caution scientifique mais atteste de la volonté d'Herzog de dépasser le matériau rocheux. Le travail des sens apporte une force de recréation du réel. Les corps et les âmes se réunissent dans une philosophie animiste jamais absurde. Les pourtant très pragmatiques scientifiques de Chauvet l'attestent : ils ressentent comme un poids des anciens à travailler en ces lieux. Se passe alors une chose insoupçonnée : une forte émotion se dégage du film.
Les mouvements de chevaux dessinés s'apparentent à du méta-cinéma. Le statut du réalisateur lui offre le sentiment précieux de prolonger l’œuvre de ses aïeux. Il questionne plus généralement sur le poids du passé, et regarde par ricochet notre futur. La sensation de moment privilégié se double d'une sorte d'adieux quand le voyage arrive à son terme. Personne ne touche aux parois. Paradoxalement, elles entrent violemment en chair. A tel point qu'il semble opportun de détourner une citation d'un Empereur corse : de ces entrailles, trois cent siècles vous contemplent.
La grotte des rêves perdus, de Werner Herzog, avec les interventions de Jean Clottes, Dominique Baffier, Jean-Michel Geneste (Fra., All., 1h30, 2011)
Sortie le 31 août
La bande-annonce de La grotte des rêves disparus :