Banquise de béton
Bien plus qu'un conte clinique,Carré Blanc cherche la vie là où l'inanimé préfigure. Un bel objet filmique, audacieux dans le paysage du cinéma hexagonal.
Et si l'avenir du cinéma français se situait là où l'on ne l'attend pas ? A savoir loin du cinéma d'auteur classique. Leonetti, ancien réalisateur de pub, se range aux côtés de ces grands noms pas forcément chouchou de la critique (pour le moment) à la Christophe Gans. A savoir, un cinéphile « marqué par le cinéma de vengeance avec Bronson ou Pekimpah » commence t-il à énumérer. Entres autres. Son Carré Blanc, long-métrage énigmatique, se veut un porte-étendard du cinéma de genre français « trop oublié » remarque le cinéaste à juste titre. L'idée n'est pas de copier le travail des anglo-saxons mais d'offrir au septième art français un regard rarement exploré. Dans un monde à la réalité augmentée, proche du 1984 d'Orwell, les gens se mangent entres eux, telles des bêtes sauvages.
Ses allures cliniques confèrent à Carré blanc toute la dimension envoûtante. Les premières images nous montrent des ours blancs. Ils servent de métaphores de l'état humain dans la société imaginée : la mère ours protège son petit durant trois ans puis l'abandonne. Ainsi, l'ourson s'endurcit de cette trahison et ne se laisse jamais faire. C'est dans ce climat que se construit Philippe. Sa mère se jette par la fenêtre et le voilà lâché dans un monde brutal. Sorte de caméléon, il refoule sa rébellion et se contente de se fondre dans la masse. Par les teintes grisâtres appuyées, Leonetti dessine l'uniformité morose d'une société où des haut-parleurs vous suggèrent de faire l'amour et où le cricket devient le sport officiel. L'absurdité et le second degré deviennent des cousins proches de la violence et le désespoir.
L'aspect humain prend une vraie force à travers le personnage de Marie. Comme pour contrebalancer le choc silencieux d'images de suicides ou de tabassages, Carré Blanc façonne une histoire d'amour anesthésiée. Étonnamment, Leonetti cite Bergman pour cet aspect du couple qui se retrouve. Philippe et Marie ( Sami Bouajila et Julie Gayet, impeccables) ne revivront réellement qu'en s’extirpant de leur air(e) hagard. En cela, on regrette une fin trop abrupte. Il demeure comme un sentiment d'inachevé dans la fin ouverte. Il devient dès lors d'autant plus difficile de sortir de ce monde glaçant, au travail esthétique et sonore sublime. Paradoxalement, c'est dans une œuvre sur l'immobilisme que Leonetti signe un appel au dynamisme du cinéma français. De bon augure.
Carré Blanc de Jean-Baptiste Leonetti, avec Sami Bouajila, Julie Gayet, Jean-Pierre Andreani (Fra., 1h15, 2011)
Sortie le 7 septembre
La bande-annonce de Carré Blanc :