Conte drôle et élégiaque
Trois garçons perdus dans un monde hostile se réfugient dans les grands espaces de la nature pour démarrer une nouvelle vie. Fraîcheur de l'enfance et drôlerie mélancolique, la nouvelle pépite de Bouli Lanners.
Le goût du marginal a toujours érigé le cinéma de Bouli Lanners à un statut à part dans le paysage cinématographique. Bien qu'affilié à Kaurismaki ou à ses potes Kervern/ Delépine, le belge joue du basculement du réalisme glauque à la légèreté de l'instant. Ses films débordent de vie. Le succès d'Eldorado en attestait. Les géants vient creuser le sillon. Bercés par l'abandon, les personnages de Bouli Lanners puisent leur force de vivre dans le sourire et l'innocence. Film de vacance (au sens littéral) où la chaleur familiale disparaît, Les géants conforte sur la grandeur d'âme de personnes pas si élevées vers les cimes. Conte social magnifique, le film raconte comment Zak et Seth, frères dont la mère ne donne plus de nouvelle, tentent de s'en sortir. Le troisième larron de l'épopée se nomme Dany, gamin tout aussi mis à l'écart. Son frère brutal ne lui veut pas que du bien. Tel les trois petits cochons, ils se décident alors de faire bouger les lignes en dépit d'un méchant loup.
Peu à peu, ces enfants comprennent la cruauté adulte. Leur fuite dans la nature rappelle aussi bien Délivrance, Au milieu coule une rivière que La nuit du chasseur. Quand on demande à Bouli Lanners pourquoi les grands espaces étaient aussi importants pour cette histoire, il répond logiquement : « ça ne marchait pas en ville. Déjà car trop de déterminants sociaux entraient en compte. Les voisins se seraient posé des questions par exemple. Et j'avais besoin de cette abstraction de la nature dont je me sens très proche ». Contraste saisissant de voir l'entre-deux âges de ces gamins toujours en mouvement avec le regard élégiaque d'un cinéaste serein, amoureux de la nature. Cela donne des images splendides comme rarement on en voit en Europe. Pour savoir ce qu'il y a au-delà de la rivière, Zak, Seth et Dany doivent s'élever au dessus des adultes, devenir des « Géants ».
Il leur faut d'abord se cloîtrer ; dans une cabane, dans la maison familiale. Puis avaler le bitume, en voiture ou à pied. Et si ces gosses y arrivent, c'est parce qu'ils sont pleins de vie. Le naturel des acteurs est prodigieux. Le réalisateur belge les dirige avec talent mais nul doute qu'il faille saluer la crédibilité de -citons les- Zacharie Chasseriaud, Martin Nissen et Paul Bartel. Le langage est vrai, souvent à tomber de rire. Dans une alternance de situations qui prennent du temps pour se mettre en place et de jeux elliptiques pour illustrer cette fureur de vivre, Les géants croque le présent en prévoyant le futur. Le gros mot n'est plus vulgaire, il aborde plutôt la dureté du conte avec courage. Quand au coin d'un feu, ils se balancent des grossièretés en s'amusant, ils oublient la pluie qui s'abat sur eux. La fuite dans la nature comme exutoire travaille le non-dit. « L'inverse d'un téléfilm, ajoute Lanners. Pour moi, [ce format] tue l'imaginaire et la création car tout doit être dit et répété ». Au surlignage, l'acteur-réalisateur préfère l'évocation par la musique folk, la touche chabrolienne, les silences gênés et l'absurdité des situations typique du cinéma belge.
Les enjeux dépeints ont pourtant de quoi bouleverser. « Le film touche les mamans, certaines me l'ont dit. Le déracinement familial remet en cause la parentalité. Alors non, ça n'est pas ma vie, j'ai eu une enfance très heureuse, mais comme ces mômes, je ressentais le besoin de me réfugier ». Et quand la cabane s'effondre, c'est toute la solidité d'un groupe qui est ébranlée. L'abandon des adultes est tel que ces gamins pourraient en mourir. A ce moment, en dépit du ton toujours mutin, un léger frisson d'effroi traverse l'esprit. En cela, la comparaison avec La Nuit du chasseur n'est pas fortuite. La terreur des Géants n'est pas aussi imposante que Robert Mitchum. Néanmoins, la nécessité de fuir demeure aussi forte. Dans une scène hilarante, les trois garçons se font des teintures blondes. Au-delà du bordel qu'ils foutent, ils se parent de leur peau d'adulte, un peu comme le serpent mue. De ce changement découlera la prise de responsabilité, le besoin de tout effacer et de reprendre à zéro. Les dernières images qu'on ne dévoilera pas laissent libre cours aux esprits optimistes ou pessimistes.
Les géants de Bouli Lanners, avec Zacharie Chasseriaud, Martin Nissen, Paul Bartel (Bel., Fra., Lux, 1h25, 2011)
Sortie le 2 novembre
La bande-annonce de Les Géants :