Immense succès critique et populaire de 2008, l'adaptation du roman de Cormac McCarty semble s'éloigner des films habituels des frères Coen. Pourtant à y regarder de plus près, on retrouve décuplé toutes les qualités des deux allumés. Un coup de génie absolu.
Attention, cet article révèle des points clefs de l'intrigue.
Lumière rasante, grands espaces, caméra aux doux travellings, No Country... commence par une admiration béate de la beauté environnante. On se croirait dans un décor de western réactualisé. Point de voleur de bétail, place aux trafiquants de drogues. Llewelyn Moss (Josh Brolin) se trouve au mauvais endroit au mauvais moment. Un massacre, pleins de cadavres et surtout une mallette remplie de fric. Pas bête, le gars en profite pour empocher le pactole. Sauf que sans le savoir il vient de se lancer dans une fuite en avant pour échapper à la mort.
Pas avare d'absurdités, les frères Coen aiment les histoires au déroulement fou. Si O'Brothers avait déjà laissé entrevoir un certain goût pour les grands espaces, ce No Country... empiète carrément sur les plate-bandes eastwoodiennes. Un coup de chapeau s'impose pour l'ensemble de la photographie, incroyable de perfection. Tout en gardant un aspect abrupte lié au scénario, les nuances se font ici et là. La moiteur des bureaux de polices, la claustrophobie d'une chambre d'hôtel risquée, chaque scène a son cachet propre. La valise dans laquelle se trouve l'argent ressemble constamment à une mine prête à vous exploser à la face.
Haute tension
Plus généralement, une tension mémorable se met en place grâce notamment au tueur, le terrifiant Anton Chigurh. Interprétation magistrale de Javier Bardem dont le personnage se voit affublé non pas d'un simple outil éjecteur d'hémoglobine, ni d'une classique hache. Les Coen mixent violence sèche et aspect à priori ridicule avec un pistolet à vache. Un second degré s'installe alors insidieusement durant toute la durée du film. Les cinéastes s'amusent à ajouter à la gravité du sujet un aspect tellement plus drôle. Personnification de ceci : Tommy Lee Jones alias Bell. Son personnage de flic débordé par les événements est délicieux. Plus audacieux encore, le film nous mène en bateau. Lee Jones, régulièrement, est intrigué par la possible arme des crimes. Et alors que l'on pense que l'enquêteur va enfin faire le rapprochement du pistolet à vache grâce à une anecdote, les Coen évacuent ce faux éclair de génie. Magnifique manière de détourner les genres. Bell n'est pas le super flic des séries, il ne fait que s'accrocher à ses obligations, son sens du devoir. Ni héros, ni anti-héros, il s'avère le personnage principal le plus fouillé et paradoxalement le moins présent à l'écran.
A l'inverse, Llewelyn, pourchassé sans relâche, apparaît comme plus fort, plus malin, plus à vif. Le road-movie s'enclenche pour échapper à la mort. Par un découpage posé mais sec, No Country for Old Men happe le spectateur dans une spirale infernale. Très peu de musique, mais une amplification splendide des sons. Des bruits de pas, un corps qui rampe, le crissement d'un pneu, un son de clef, le moindre détail est mis au premier plan afin de leur donner, parfois sans raison apparente, une importance capitale. C'est à ce petit jeu (il faut le dire, tout bonnement génial) que Ethan et Joel nous mènent en bateau. Et alors qu'on pourrait croire que leur narration linéaire lasserait à terme, ils trouvent le talent d'aller puiser dans les ressources des protagonistes une sauvagerie et un fatalisme encore plus effrayants en fin de film.
Comme tout bon film prenant pour cadre les anciennes places fortes des shérifs et autres cow-boys, il fallait un affrontement de haute volée. Le face-à-face Llewelyn/Anton trouve son apogée non pas dans une lutte physique où chacun se blesse mais dans un échange téléphonique à la gravité haletante. Et comme cette fameuse absurdité et ironie des Coen ne les lâche pas, le dernier quart d'heure fait un pied de nez aux canons du thriller. Un film entier, sans faille. Difficile de faire plus grand.
No Country For Old Men, de Joel et Ethan Coen, avec Tommy Lee Jones, Javier Bardem, Josh Brolin (U.S.A., 2h02, 2008)
La bande-annonce de No Country for Old men ci-dessous :