L'Illiade chinoise
Fresque épique ultra-connue, la nouvelle adaptation de la lutte des 3 Royaumes bénéficie du retour de John Woo, talentueux cinéaste trop longtemps égaré aux États-Unis. Chronique de la première partie de la version longue.
Sacrifié sur l'autel de la distribution grand public en France, les 3 Royaumes de John Woo fut tièdement accueilli. Il faut dire que la version ultra-raccourcie enlevait tout logique de progression à cette grande fresque historique. Pourtant, celui qui porte le nom de Red Cliff en anglais mérite bien plus les éloges tant sa version complète s'avère grandiose et tellement bien menée. Les 3 Royaumes, en France, dure 2h25 ridicule, soit la moitié de l'original. Intéressons-nous ici à la première partie. C'est en soit un événement puisqu'il signe le retour du prodige John Woo sur le continent asiatique. Fini les égarements hollywoodiens, le grand John peut reprendre les choses en mains. Il adapte l'une des histoires les plus fameuses du passé chinois : la lutte des 3 Royaumes.
Véritable légende, un peu comme l'Illiade avec la guerre de Troie, on peine en partie à dissocier le réel de l'amplifié. Si ces grandes batailles eurent bien lieu, la popularisation de la bataille de la Falaise Rouge ne fut mise par écrit qu'au XIII ème siècle. Woo prit le parti de s'approcher un peu plus des savoirs historiques tout en g ardant une dose de romanesque. Difficile en France de faire comprendre à quel point cette épopée de deux Royaumes rivaux coalisés contre la belligérance d'un troisième dépasse le statut de simple souvenir en Chine. Devant la grandiloquence de la réalisation de ce film, on comprend un peu mieux. C'est bien simple, ce sont les plus grandes scènes de batailles vue depuis Le Seigneur des Anneaux. En terme d'intensité et de maitrise épique, John Woo fait au moins aussi bien que Peter Jackson. Leur lisibilité laisse pantois et malgré la folle hécatombe dès le début du film, le spectateur peut s'y retrouver sans forcer.
Plus que de simples combats, de véritables chorégraphies font virevolter les personnages. La surenchère d'effets de chez John Woo se veulent discret et Les 3 Royaumes gagnent en violence. Tel une mise en scène de Risk, c'est une démonstration de stratégie militaire audacieuse. Que ça soit dans les éblouissements des chevaux par le reflet des boucliers ou par un dispositif en tortue que l'on ne soupçonne même pas, le savoir-faire des armées est on ne peut plus cinématographique. La caméra à la fois aérienne et à hauteur d'homme se fond à la dynamique des combats. John Woo parvient à immerger son dispositif avec une fluidité rare, toujours lisible. Les quelques traits d'humours sont surtout le fruit de la malice des soldats, illustration fine de la cruauté d'une guerre meurtrière. Mais Les 3 Royaumes, sur ses 2h 20 de la première partie est loin de ne comporter que du frittage en règle. C'est même un film qui joue sur l'attente, les négociations tactiques, la loyauté des figures légendaires.
Là encore, pas besoin de comprendre les méandres tactiques en détail pour tout saisir. La mise en scène capte les archétypes. Le belligérant de premier ministre, tenue plus sombre, contraste tout de suite avec un Empereur plus délicat, attaché à la contemplation. Par les mouvements de caméra toujours pertinents, par des cadrages jouant sur les profondeurs de champ, les hiérarchies et les enjeux se voient tous à l'écran, un peu à la manières des grandes peintures de la Renaissance. John Woo se permet une certaine douceur, un symbolisme (trop) fort à travers les animaux notamment.
Sans être coutumier de la question, on saisit vite la place de l'oiseau, symbole de liberté. Le film commence avec un piaf noir, quand c'est un magnifique congénère blanc qui survole les camps de guerriers au cours d'une séquence incroyable. Le tigre est là aussi, métaphore du courage et de la noblesse de la sauvagerie, dans une longue mais belle séance de chasse en hautes herbes. Enfin et surtout, la place du cheval ; bien plus qu'un simple destrier, il tient un rôle moteur. Il est à la fois une force et une faiblesse pour le soldat (quand il se fait éblouir par exemple), mais il met en valeur le guerrier. Presque l'égal de l'Homme, le cheval porte souvent un nom et c'est au cours d'une touchante scène d'accouchement de poulain que l'on constate qu'il entre dans une logique de rapports humains, au même titre que le chien en garant du foyer chez les américains. Les 3 Royaumes, œuvre grandiose impressionne en grande partie. Et dire que ça n'est qu'une moitié.
Les 3 Royaumes version longue- Partie 1, de John Woo, avec Tony Leug Chui Wai, Takeshi Kaneshiro, Zhang Fengyi (H.-K., 2h20, 2008)
Article lié : Les 3 Royaumes version longue- Partie 2 de John Woo (publication à venir)
La bande-annonce de Les 3 Royaumes :