Histoire nostalgique sur la disparition des magiciens de cabaret façonné avec enchantement. Issu d'un scénario rêvé par Jacques Tati, concrétisé par le talent de Sylvain Chomet.
Sylvain Chomet nous revient enfin, 7 ans après le triomphe des Triplettes de Belleville. 7 ans sans trop de nouvelles, si ce n'est pour nous livrer un des 20 segments de Paris, je t'aime. 7 ans où l'on murmurait qu'il préparait un film fondé sur un scénario de Jacques Tati. Ça s'appelle L'Illusionniste, et ça mériterait au moins le même engouement que les Triplettes. C'est en allant à l'avant-première mondiale de ce dernier que Sylvain Chomet découvrit le script d'une histoire de Jacques Tati. Il y découvrait le périple intimiste d'un magicien subissant la montée en force du Rock.
L'interprète du légendaire M. Hulot n'a pas réussi à faire ce film, trop personnel, trop touchant. A voir le résultat en version animée, on comprend pourquoi. Tati apparait à chaque instant. Pas moyen de se cacher derrière un loufoque personnage. Cette douleur, c'est celle de voir un métier disparaître. Les petits cabarets jettent dehors les magiciens et autres acrobates à la fin des années 1950. Le rock remplit les salles et le public ne se déplace plus guère voir des numéros de cabarets aux froufrous ringards et aux lapins dans le chapeau vieillis. Pourtant, Jacques Tatischeff (son vrai nom) s'obstine à ses tours de passe-passe. En dépit des difficultés à trouver des endroits où se produire, il quitte les grandes villes jusqu'à se retrouver en Écosse. Là bas, une jeune fille l'admire. Il la prend sous son aile et devient sa fille adoptive.
Aigre-doux sans douce aigreur
Voilà une histoire poignante et finalement très adulte. Car jusque dans sa réalisation, L'Illusionniste s'adresse aux grands. Exit le dynamisme dû au besoin de toujours créer de l'action afin de plaire aux plus jeunes. Ici, Chomet propose une autre méthode : poser son cadre à hauteur d'Homme, les regarder évoluer, comme s'ils étaient vrais. On bénéficie de plans larges, de cadres sur des maisons, des rues vides. Là où lesTriplettes de Belleville chopaient constamment de l'utile et de l'humour dans les espaces dessinés, L'Illusionniste prend plus son temps, cadre mieux. On découvre alors une ville d'Édimbourg fascinante. Le mélange rétro et moderne se crée à merveille. Une beauté à mettre au profit d'un dessin traditionnel. Comme le dit lui même le réalisateur, la 3D n'arrive pas a capter l'humain. Il peut être pratique pour les environnements, les robots et les machines. Mais l'Homme ne peux se retranscrire que sous le coup de crayon de l'humain lui-même.
Au delà du vernis se dévoile une fibre sociale admirable. Il y est décrit comment une frange de la population avance dans le siècle pendant que l'autre se retrouve abandonnée. D'un côté, les écossais s'extasient de l'arrivée de l'électricité dans leur village, profitent d'un étrange objet à musique qu'on a tendance à appeler Jukebox. De l'autre, des faiseurs de rêves perdent leur raison d'être. Ventriloques, acrobates, clowns, tous doivent se résigner à changer de branche. Certains n'y arrivent pas. Alcoolisme, tendances suicidaires, pauvretés les attendent. En cela se crée une sorte de parabole sur les destins sociaux des mineurs du Nord, sur les laissés pour compte de la modernité. La grande force de la nostalgie du film est de garder une forme de légèreté. Jamais l'Illusionniste n'est un film réact' et prônant le « c'était mieux avant ».
Transmission de valeurs
Il réfléchit surtout à savoir transmettre des valeurs, à savoir se résigner pour mieux avancer. Le nœud de l'intrigue développe même cette relation tendre entre le jeune fille et son nouveau père, qu'elle aime plutôt d'amour. Toute l'essence de Tati se sent. L'hommage à sa fille est très touchant ; elle est malheureusement morte juste après l'entame du projet. Tatischeff parle de transition de valeurs à son enfant. Il se sacrifie financièrement pour elle, et lui cache les difficultés de sa vie, afin de préserver sa pureté. Étonnement, les phases plus comiques du film proviennent souvent d'ajouts de Chomet, comme ce passage de ragout de lapin. S'il fallait situer cette œuvre, les figures ressemblent à du Buster Keaton, l'idole de Jacques Tati, et l'histoire renvoie dans son principe au Kid de Chaplin. Les codes du cinéma muets trouvent encore une belle force et une incroyable modernité. Très peu de paroles, le silence et la musique servent d'émetteur de message. Jamais le cinéaste ne se retrouve écrasé sous le poids de l'hommage au grand dadet au pantalon trop court. Il ne réserve son hommage que dans un générique de fin où une chanson de sa composition reprend les voix de Brel, Piaf, Gainsbourg et consorts pour nous rappeler que les magiciens existaient et existent encore.
L'Illusionniste, de Sylvain Chomet (Fra., 1h22, 2010)
Sortie le 16 juin
La bande-annonce de l'Illusionniste ci-dessous :