« Ne devoir rien à personne », telle est la philosophie du Godard 2010 qui nous sort un patchwork intriguant de milliers d'images. On reste perplexe et intrigué. Pas mieux.
Jean-Luc Godard, en dépit de sa grande gueule et de son passé de grand cinéaste, avait de quoi effrayer avec son dernier objet filmique. Sobrement intitulé Socialisme dans un premier temps, il se vît rajouter la composante « Film » récemment. Car Godard ne fait pas du cinéma, il fait des Films. Une différence très simple les sépare. Le premier terme inclut une industrie avec ses schémas préétablies. Le second n'est qu'un fixation sur pellicule (encore que, à l'heure du numérique) d'un catalogue d'images et de sons. A nous d'en faire quoi bon nous semble. C'est en tout cas les définitions que donne le franco-suisse.
Il décide de détruire la narration. En ne construisant aucune identité propre, aucune trame intelligible, Film Socialisme ne ressemble à rien. Seul point de comparaison approximatif : le théâtre contemporain avec des pièces comme celle de Noëlle Renaude, Ma solange comment te dire mon désastre- Alex Roux. Des fragments d'histoires, pas toujours cohérents, parfois emplis de burlesque, de drame et de non-sens envahissaient la scène. Une pièce écrite en direct pour un acteur, une expérience particulière faite pour les adaptes d'œuvres contemporaines. Le travail faussement négligé du cinéaste de la Nouvelle Vague crée le même sentiment. D'abord une étrangeté assez désagréable. Comment rentrer dans une projection où les images et les sons ne créent pas d'intrigue. Ça serait comme lire le dictionnaire en écoutant du Mozart à l'envers. Godard collecte une série d'images du net, un patchwork fascinant.
Il fait fi de toute hiérarchisation de l'importance des images. Il mêle allégrement une vidéo de chats prise sur le net et un extrait des Feux de la Rampe. Il coupe volontiers la parole à sa voix off qui semblait nous expliquer quelque chose. Il ne fait apparaitre que quelques secondes le philosophe Alain Badiou. Dommage tant il était curieux de le voir disserter dans une salle vide sur un paquebot de croisière. Bien sûr, les apparitions de Gide, les références bibliques, les dispositifs de domination masculine dans la famille trouvent un sens. Mais reste que Film Socialisme se refuse à nous offrir des figures personnifiées.
Problème de type Grec
C'est assez agréable par moments, notamment durant la partie en croisière. Mais on se retrouve à contempler avec un détachement un peu frustrant ce dédale d'images, ce kaléidoscope de pensées fulgurantes. Les va-et-vient entre les personnes sur le bateaux initient une forme de préférence pour tel dispositif ou système de positionnement des corps : un frère et sa sœur, très intellos, une russe et un enquêteur... Autant d'objets vivants jamais animés de fougue ni de libre arbitre. On ne reçoit rien. Même dans la seconde partie où l'on se pose chez une famille. Les belles images ne comblent pas une forme de prétention. Godard veut faire le point. Le tout en posant mille questions. En vrac sur la place des civilisations, sur la Palestine, sur l'Europe, sur la famille, l'héritage. Le discours d'un homme désabusé et fatigué se dévoile. L'emphase évidente noie le poisson de la réflexion dans une avalanche de propositions de cinéma toutes avortées.
C'est bien là le problème majeur du Godard cuvée 2010 : ne pas faire grand chose d'un postulat intéressant. S'adresser aux cinéphiles en les pommant plus qu'en les guidant, c'est un peu l'inverse de la vocation de cinéaste. Que faire de ce film? Pousser le bouchon plus loin? S'émanciper du système préétablie ? Pour quelle raison ? Y gagne t-on vraiment ? Et pour observer quelle société ? A plusieurs reprises, le terme « hélas » est prononcé. A moins que ça ne soit « Hellas », cœur de civilisation européenne aujourd'hui vilipendée pour sa gestion économique. Un problème qualifié durant Cannes de « type grec ». La grande lutte de JLG est de critiquer la propriété intellectuelle. En l'explosant, il forme une véritable anarchie. Une sorte d'idéal communiste contre la possibilité de posséder quelque chose. Et une chose est sûre, c'est que l'on ne s'y retrouve pas. Notre société est-elle prête aux bouleversements préconisés ? Elle ne semble même pas recevoir le message. Godard est devenu inintelligible. Un drame.
Film socialisme, de Jean-Luc Godard, avec tout pleins d'amateurs (Fra., Sui., 1h42, 2010)
La bande-annonce de Film Socialisme ci-dessous :