La poursuite infernale
Western maitrisé de A à Z, les frères Coen parviennent à distiller leur humour et leur savoir-faire dans un carcan faussement académique. Un bout d'histoire des États-Unis en deux heures, au plus proche des morales borderline.
Un monde sans foi ni loi caractérise souvent la vision du far-west. Les westerns s'en servent allégrement. De John Wayne à Sergio leone, la construction des États-Unis se fait par ce mélange de justice (l'omniprésence de la prison), la mise à mal du Shérif (Rio Bravo) et les bandes de criminels faisant la loi (Règlements de comptes à Ok Corral). True Grit, nouvelle adaptation du roman de Charles Portis, plus de quarante ans après 100 dollars pour un shérif, a tout l'air de prendre le même chemin manichéen. Une histoire de vengeance régit la base. A savoir Mattie Ross, 14 ans et une langue bien pendue, fait tout pour venger la mort de son père. Dans cette quête funèbre, Rooster Cogburn, alias Jeff Bridges treize ans après le culte The Big Lebowski. C'est aussi une nouvelle incursion pour le charismatique acteur dans le western (Bad Compagny, Rancho Deluxe).
Troisième larron en chasse : Matt Damon soit le Texas Ranger LaBoeuf. Ethan et Joel Coen retravaillent les frontières du film de criminel et de loi en inondant un pays violent aux morales floues à travers la figure judiciaire. Ce n'est en rien un hasard si l'audacieuse Mattie Ross ne cesse de menacer la venue d'un avocat surement en mode bluff ; encore moins si le shérif Cogburn apparaît la première fois lors d'un simulacre de procès, avec parole à l'accusation et à la défense. La course poursuite contre le meurtrier s'articule aussi à travers un no man's land. Il convoque directement le fossé qui sépare la jeune Amérique post-sécession de son avenir judiciairement pointilleux et le champ libre ici donné aux bandits. La ville de Fort Smith résume ce bouillonnement infâme de fripouilles et de mises à mort vengeresses. Après avoir moqué la paranoïa contemporaine dans Burn After Reading, les Coen adoptent encore une forme d'ironie cinglante quand au rapport au droit et la morale. Les royalties et la magouille prédominent. L'incarnation même du méchant est floutée par Josh Brolin, plus que surprenant en pleutre vénal.
La majorité des westerns, dans la douce tradition américaine, jouaient une sorte de sens de l'histoire progressiste. Sans quitter complétement ces rivages hérités de John Ford, les Coen détournent toute une imagerie. A ce titre, True Grit est très proche et très éloigné d'un film comme Appaloosa. Même cette espèce de vigilante plus ou moins théorisée trouve comme justification une fémininisation du propos. Au sens où homme comme femme, la monstruosité des actes se retrouve rattrapée par une forme d'honneur ancrée dans son époque. Les États existent peut-être déjà mais la mentalité se résume encore à la l'esprit de clan. L'humour, moins présent qu'à l'accoutumée, pointe ici et là les écarts de comportements et de valeurs de ces protagonistes. Du Texas Rangers bienveillant mais tenant tout de même à récupérer les lauriers de la gloire à la figure du shérif alcooliques, tous les personnages se font égratigner. Ils ont en même temps une aura, une conscience de leur propres défaillances.
Un travail facilité par les prestations d'acteurs toutes justes -voire excellentes pour Jeff Bridges et Hailee Steinfeld. Attention, contrairement aux apparences, peu de liens sont à faire avec No Country for Old men. Deux époques, deux sujets, deux traitements singuliers rendent ces films très différents. Peu d'action ici mais une violence et une cruauté digne des plus cyniques instants des Coen. Le seul vrai point commun serait la lumière de Roger Deakins. La performance visuelle laisse pantois. True Grit arrive à créer l'étouffement sec des contrées arides et la rudesse hivernale des plaines enneigées. La photographie traduit à merveille cette double sensation, bien aidée il faut l'avouer par le travail millimétré de la mise en scène.
Art horizontal, le cinéma a même droit à un sentiment de verticalité le temps d'un plan à l'entrée d'une grotte. Tout en jeu de clairs-obscurs, intérieurs et extérieurs modèlent la double facette d'une œuvre tellement plus profonde qu'elle en a l'air. De western classique plutôt bien mené, True Grit s'émancipe en quelques minutes et concentre finalement tous les éléments du duo (dialogues savoureux, travail formel, ironie, propos ambitieux) hormis la folie désinvolte auxquels on les résume trop souvent. Mais ne nous y trompons pas, True Grit est une réalisation majeure, méticuleusement construite sur un mythe américain qui a du plomb dans l'aile.
True Grit, de Joel et Ethan Coen, avec jeff Bidges, Matt Damon, Josh Brolin (U.S.A., 1h50, 2011)
La bande-annonce de True Grit :