Un Iran sans censure
Articulé en deux parties, ce petit miracle iranien illustre un quotidien de Téhéran insoupçonné et vire au conte politique globalement prenant.
La genèse de The Hunter a quelque chose de chaotique. Tourné au moment des troubles politiques en Iran durant la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad, le film profita d'une brèche dans le système de censure extrêmement puissant. Du coup, Rafi Pitts arrive à distribuer un long-métrage contestataire bien que métaphorique dont une scène de tir sur policiers. En résulte un beau film, certes un peu trop bien cadré par instants mais dont la force se dévoile par touches.
Les émeutes ne sont pas du tout le sujet central de The Hunter mais elles causent la mort de la femme d'Ali, personnage principal interprété en catastrophe par Rafi Pitts lui-même (son acteur principal a jeté l'éponge au dernier moment). Pas forcément des plus à l'aise, il joue la retenue constante, en accord avec l'économie de dialogues voulue. Ainsi, la création sonore n'en est que plus belle. Les rares échanges parlés prennent de l'importance, comme celui avec le policier en début de film. Les bruitages de la seconde partie en forêt captent aussi un environnement très particulier. Et chose étonnante, quelques semaines après Incendies de Denis Villeneuve, la musique centrale vient de l'album Amnesiac de Radiohead. Ici Hunting Bears, en écho à Like Spinning Plates et You and Whose Army ? pour Incendies, structure la féconde création d'un univers. Trois morceaux parmi les plus perchés du groupe d'Oxford pour deux films en pays musulmans à priori loin d'être la cible privilégiée. Peut-être ne s'agit-il que d'une simple (mais étrange) coïncidence.
Eu égard à cette remarque, The Hunter tire son épingle du jeu par un film en deux parties à la fois liées et très distinctes. La vision offerte de Téhéran apparaît d'abord comme inédite, bien loin des considérations exotiques habituelles. Les paysages font plus penser à l'Europe voire au Nord des États-Unis. Pitts s'amuse même à brouiller les pistes en structurant visuellement son film sur un effacement des identités iraniennes (habits, voitures, fêtes foraines). La religion n'intervient à aucun moment. Pas le moindre appel à la prière ou considération morale en lien avec l'Islam. Clairement un positionnement politique de rejeter l'Islam comme facteur incontournable de la « polis » iranienne. Ce quotidien tord le coup au présupposé trop courant qu'un peuple vivant sous le joug d'une dictature ou d'un régime contestable vit aliéné tel 1984. Le second segment en forêt travaille plus sur la dénonciation et parvient à jouer d'un trio flic/prisonnier plutôt intelligent. Il explore les pistes de la trahison et des apparats trompeurs avec un dénouement brusque.
Les choix de mise en scène s'avèrent alors bien vu quand dans la première partie, tout paraissait trop propre. Les compositions de cadres esthétiques enlèvent de la force et rendent le matériaux un peu froid, pas assez intime. Les corps ne débordent jamais, la mise au point est toujours parfaite, et surtout la profondeur de champ se doit d'être constamment malicieuse. On ne va pas reprocher un travail formel en soi mais elle enlève en dureté face au sujet. Reste des scènes touchantes dans son premier segment, notamment l'inhumanité d'un flic montrant le corps sans vie de la femme du héros. On ne le laisse même pas répondre que le dossier est déjà clos. A ce moment, pas étonnant de voir un personnage autodestructeur, le fameux chasseur pas complétement empathique. La vraie violence vient de ses plans réguliers où une arme pointe en direction de l'écran ou pas loin. Comme pour nous dire que la violence se répand, et qu'elle n'a, en Iran, que réussie à détruire. Par sa rythmique lente, The Hunter réveille par ses soubresauts tendus, d'une poursuite en voiture à un final radical.
The hunter, de Rafi Pitts, avec lui-même, Mitra Hajjar, Saba Yaghoobi (Ira., All., 1h35, 2011)
La bande-annonce de The Hunter :
THE HUNTER : BANDE-ANNONCE VOST
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