La société de l'utile et du jetable
Personne n'est épargné par la crise, pas même les grands cadres. Le cinéma social n'est pas forcément outrancier, il n'est pas forcément démagogique. La preuve.
Comment expliquer ce retour en force de Ben Affleck ? Pour rappel, cet homme au firmament à l'époque de Will Hunting s'est peu à peu fourvoyé dans des bouses allant de Ce que pensent les hommes à Armageddon en passant par Dardevil. Puis, en 2007, nous le découvrions bon réalisateur, héritier modeste mais efficace de Clint Eastwood, avec Gone Baby Gone. Essai transformé en 2010 avec The Town. Sa remontée vers les sommets demande aussi un retour en grâce en tant qu'acteur. The Company Men devrait l'aider. Col blanc un rien arrogant, le voilà qui subit les affres de la crise économique. Dans son giron Chris Cooper et Tommy Lee Jones craignent le même destin.
Scénario vieux de quinze ans, The Company Men se voit remis au goût du jour avec la crise économique. Mais le tour de force de John Wells vient de sa teneur modeste et d'un brio pour ne pas tomber dans le mélodrame forcé. Un licenciement signifie bien plus qu'une perte de salaire. Devenir inutile dans nos sociétés occidentales (et notamment aux USA) projette un être dans un état de néant social. Il ne faut pas trop le dire. Bobby (Ben Affleck) cherche à garder ses signes extérieurs de richesse. « Ma femme ne veut pas dire au voisinage que je suis au chômage. Je ne peux pas rentrer avant 18 heures » balance, hagard, un Chris Cooper au bord du gouffre.
Ce cinéma social évite pourtant l'écueil misérabiliste. Ces friqués flambeurs ne savent pas rechigner sur le superflu, refusent certains boulots. Mais peut-on les blâmer? The Company Men montre le gavage sans vergogne des grands patrons et à quel point la crise touche tout le monde, même les plus aisés. Il montre aussi la place de l'humain en tant qu'employé jetable. C'est alors l'équilibre familial qui est en jeu. Wells évite aussi les débordements larmoyants et hystériques où la femme quitterait le mari. Au contraire, la famille devient un refuge honteux. Le soutien des proches permet de garder les pieds sur terre. Revenir vivre chez papa-maman est plus délicat. Une scène où le gosse de Bobby croit que ses parents vont divorcer montre parfaitement toute la teneur sociale d'un licenciement. Film sur le quotidien, The Company Men hérite d'une écriture issue de la télévision. Normal, John Wells a travaillé sur Southland, Urgences ou A la maison Blanche. Soit trois séries du quotidien : chez les flics, dans les hôpitaux, dans la politique.
De cette écriture minutieuse découle une précision des conditions humaines, portée par d'excellents acteurs. Kevin Costner incarne cette Amérique du matériau, qui retape des maisons. Si la parabole est un peu lourde, la morale du film de retrouver une économie plus saine, plus sociale ne fait pas oublier les inégalités, les laissés pour comptes et les dindons de la farce. The Company Men n'a pas la prétention de changer le monde, ni même d'en faire le tour. C'est là sa grande force. Il capte une facette du réel et s'assure juste de ne pas tomber dans une démagogie outrancière. A nous de tirer les marrons du feu...
The Company Men, de John Wells, avec Tommy Lee Jones, Ben Affleck, Chris Cooper (U.S.A., 1h52, 2011)
La bande-annonce de The Company Men :