Un américain à paris
Plutôt que de véhiculer du cliché, Minuit à Paris le détourne et imagine une faille temporelle plongeant un écrivain hagard dans son Paris préconçu. L’occasion de trinquer avec Buñuel et Belmonte.
« J’aimerais bien faire un chef-d’œuvre, tant que ça ne me coûte pas mes réservations au restaurant ». Woody Allen c’est exactement ça : une synthèse humoristique sur la vie perturbée par le plus insignifiant des détails. « Je n’aurais pas pu vivre dans les années 20, il n’y avait pas l’air climatisé » lâche t-il encore à la conférence de presse cannoise pour son Minuit à Paris. Un peu comme le personnage d’Owen Wilson, Gil, rêveur triste des années vingt franciliennes, on fantasme constamment le passé de Woody Allen, ses extravagances temporelles de Zelig, le charme inégalable de La rose pourpre du Caire, la tension surréaliste de Match point.
A l’instar d’un Gene Kelly danseur dans un vieux café français refait en studio, le décorum cliché de la ville lumière se fantasme en permanence. Par une magie aussi simple que délirante, où une camionnette envoie Gil dans les années 20 après les douze coups de l’horloge, Minuit à Paris s’amuse des rêveries touristiques et cultivées du réalisateur. Toujours prompt à la légèreté maligne (au sens clinique), Woody l’amoureux oscule les espoirs d’un écrivain bloqué dans l’engagement marital. En cela le film combine tous les plus beaux travaux du cinéaste (jusqu’à Manhattan avec le métro devant la Tour Eiffel). Il retrouve même une drôlerie de tous les instants. La malice s’étendait à la bande-annonce en trompe-l’œil. En lieu et place d’une somme de cartes postales pompeuses, le film les condense dans son introduction avant de filer vers l’autodérision.
La douceur inhérente se ressent dans la manière de filmer les acteurs français. Léa Seydoux et surtout Marion Cotillard incarnent des égéries à l’américaine de la française romantique mais au caractère affirmé. Dans ce zoo des héros du passé, Gil y croise ses idoles : Fitzgerald, Joséphine Baker futilement, Dali (et ses rhinocéros) splendidement interprété par Adrian Brody et même Buñuel. Les allers-retours passé/présent synthétisent la plus belle catharsis poétique du cinéaste new-yorkais. Le message, toujours contradictoire, donne envie de rêvasser éternellement son monde parfait. Owen Wilson, sorte de variation de Cendrillon, lutte face à une épouse savamment détestable (Rachel McAdams, encore très bonne) et l’envie de fuir toujours plus loin dans la fraicheur d’une rose pourpre du quai St-Martin. Minuit à Paris, fragrance délicate des soirées pluvieuses suspens le temps par une photographie splendide et une écriture aussi drôle que tendre.
Minuit à Paris, de Woody Allen, avec Owen Wilson, Rachel McAdams, Marion Cotillard (U.S.A., 1h34, 2011)
La bande-annonce de Minuit à Paris :