Balade d'automne
Avec ce deuxième film, Xavier Dolan réussit l'œuvre que tout jeune cinéphile porté sur les histoires d'amours rêverait de faire. Eh bien voilà, il l'a fait !
Un an après J'ai tué ma mère qui avait fait son petit effet à Cannes, le jeune surdoué Xavier Dolan revient avec les Amours imaginaires. Un titre parfait tant il convient de discerner le portrait d'une jeunesse rongée par l'amour et ses pulsions et la rêverie romantique façon Won Kar-Wai. On a eu de cesse que de comparer le jeune québécois à l'expérimenté chinois. Le coup des ralentis en musique surement, façon In the Mood for Love. Seulement, Dolan réussit là où Won restait dans un univers calfeutré. Celui de l'intégrer à une réalité tangible. Peut-être un sentiment facilité par la proximité des personnages des Amours imaginaires avec la jeunesse aisée occidentale. Ou peut-être simplement que Dolan trouve du liant, puise en son maitre le meilleur et continue son travail de plagiat avec une fougue adolescente admirable.
Son deuxième long-métrage (hallucinant pour un jeune de 21 ans) parle de deux amis, une fille hétéro, un mec gay, amoureux du même éphèbe mystérieux : Nicolas. De leur amitié sincère, Francis et Marie vont muter vers une concurrence jalousée. Les sourires deviennent faux, les attitudes fiers érigées tels des boucliers devant le désœuvrement de leurs émotions. Dolan ne se prive pas pour montrer explicitement le dispositif. Il veut illustrer des gênes que l'on a tous connu. En amour, le calcul prime alors qu'il ne faudrait pas. Chez Xavier Dolan, les femmes apparaissent assez froides, dures, en concurrence. Mais au lieu d'offrir à travers leurs personnalités une sorte de dégout misogyne, on éprouve au contraire une compréhension et un attachement rare. On est bien loin de la femme prototype où elle est soit une poupée parfaite soit une rebelle insupportable (type Isabelle Huppert).
Portraits de femmes... et d'hommes
Ici elles sont juste aimantes, jalouses, manipulatrices, encombrée, humaines quoi. Les garçons, au contraire, semblent plus doux qu'à l'accoutumée. Un portrait assez gay-friendly. Ce qui ne les empêchent pas d'être cruels, manipulateurs, enfin comme les femmes, mais en différent. Des personnages tous beaux et moches à la fois. Le conte amoureux ne se prive pas de montrer des profils peu avantageux, quelques points noirs voire des nez disgracieux. Un beau contraste avec les paysages automnaux de la campagne, avec les froides rues de Montréal s'accommodant sans sourciller d'un café et d'une clope.
Niveau musique et silence, c'est aussi très « djeuns » dans le montage, mise en scène clipesque du meilleur effet (pour une fois) et dialogues calmes aux doux accents québécois. Dolan passe de Dalida à Fever Ray avec élégance, de Bach à Indochine avec malice. On sent que le gamin apprend le métier avec de purs essais de style. Là où les Amours Imaginaires devient véritablement passionnant, c'est dans cette capacité à happer le vécu de toute la jeunesse face aux émotions amoureuses. En témoigne ces fausses interviews face caméra, zoom grossier comme dans un mauvais documentaire. Non sans humour, filles et garçons racontent là où tous les films soit-disant jeunes échouent sur les nouvelles technologies (de Lol à Chatroom). L'effet inouï d'ouvrir un mail tant attendu, l'utilisation abusif de MSN rencontrent le romantisme le plus intemporel (un bouquet de fleur, un retard pour un rendez-vous galant dans un bar).
Plus que de l'intemporalité, Dolan joue les anachronismes. Dans les robes, les coiffures, les musiques. Il s'en excuse presque directement dans un savoureux échange entre Marie et Francis. « C'est pas parce que c'est vintage que c'est beau » craint-il tout à coup. Car ces Amours Imaginaires vont sans nul doute en laisser sur le bord de la route. N'empêche qu'un grand nom est sûrement en train d'émerger. Voici le film que tant de jeunes futurs réalisateurs, pétris de cinéphilie, auraient rêvé de faire sans en avoir les moyens. Le caméo de Louis Garrel annonce la futur collaboration avec le cinéaste. Reste à espérer qu'il saura renouveler ses idées, les amener à bout et illuminer les yeux de ses fans déjà nombreux. Putain, 21 ans seulement...
Les Amours Imaginaires, de Xavier Dolan, avec lui-même, Monia Chokri, Niels Schneider (Que., Fra., 1h35, 2010)
La bande-annonce de Les amours imaginaires :