Langue noble
Film présenté au Club 300 Allociné
Comment s’exprimer par les mots quand les terreurs de l’Europe galvanisent les foules à l’aube de la seconde guerre mondiale ? Avec Le discours d’un roi, faute de réponses politiques, de belles pistes contemplatives des rapports roi/sujets sont explorées. Bravo Mr. Rush.
Le travail de l’idiome et de la dialectique n’avait pas connu plus bel apparat depuis Christoph Waltz dans Inglorious Basterds. Geoffrey Rush a ceci de commun avec le terrible nazi de fiction que le langage sert de corps communiquant ultime. L’acteur australien incarne dans Le discours d’un roi l’orthophoniste Lionel Logue, sauveur indirect du royaume britannique. Car, lorsque le roi Georges VI succède à son frère Edouard VII, il ne parvient pas à s’exprimer en public. Engoncé dans son bégaiement et sa timidité, le père de l’actuelle reine Elisabeth ne se sent pas de taille à gouverner. Le discours d’un roi replace encore une fois la langue au centre de tout.
Que pense Georges VI lorsqu’il voit aux actualités Hitler haranguer les foules ? Dans cette scène –la plus intrigante- le personnage interprété par Colin Firth émet timidement son admiration pour le charisme inquiétant du dictateur. Au passage, le film se fait malheureusement l’économie de toute prospection politique un temps soit peu gênante. Notamment sur les rapports plus que doux entre Edouard VII et Hitler, les défaillances évidentes des autorités britanniques (hormis Churchill) d’anticiper le pire. S’ils évoquent bien de -ci de-là le sujet, rien n’est fait qui ne glorifie la couronne et ses sujets.
Pas étonnant que le rôle à Oscar soit pour Firth, que Bonhan-Carter, doucereuse au possible en épouse dévouée, irradie telle une valeur famille rassurante en période de crises. La vraie injustice serait de passer à côté de la merveilleuse alchimie Rush/Firth. L’un comme l’autre expérimentent dans leurs séances de mises à niveau les limites de l'autre. Tom Hopper réussi à créer un climat d’échange intime dans un environnement pourtant froid. La personnalité du docteur Logue, achétype de la dévotion un brin irrévérencieuse, ne peut que charmer. Ne pas saluer comme il se doit le prince ou lui taper sur l’épaule dans un pays qui fonctionne encore en terme de sujets cristallisent plusieurs choses. D’une part, ils rappellent que la toute puissance royale prédispose encore sur l’égalité parfaite. Surtout, de deux, ils traduisent une envie de faire entrer toute une classe sociale dans un monde plus contemporain.
A ce titre, l’épouse se plaint de ne pas voir assez le peuple, et c’est bien dans la confrontation avec celui-ci que l’apprenti roi bloque. On passera sur le freudisme de base pour admirer d’autant plus la qualité des scènes de discours. Comme Tarantino donc, Hopper fait de la langue une arme. Mais une machine enraillée. L’ouverture du film sur un « speetch » conclu sur un lamentable échec est percutant. Les longs silences deviennent gênant, voire douloureux. Pour le futur roi bien sûr, Colin Firth tout en regard paniqué, pour sa femme,angoissée la boule au ventre et pour les sujets, apitoyés. La voix du souverain se porte telle la parole de toute une nation. Brillamment académique.
Le discours d’un roi, de Tom Hopper, avec Colin Firth, Helena Bohnan-Carter, Goeffrey Rush (Brit., 1h58, 2011)
La bande-annonce du Discours d’un roi :