Ciao Bella
Une histoire de funérailles intimes montre plus de vie que de morbide. Un étrange film russe délicat et inspiré, sur les bords d'une Volga romanesque incroyablement envoutante.
Le dernier voyage de Tanya raconte le deuil. Manière faussement élégiaque de se plonger au cœur du plus puissant des sentiments : l'abandon. L'abandon du mort au monde des vivants d'un côté, l'abandon de la défunte de l'autre. Ce film russe envoute d'office par son mystère géographique et sociologique. Il nous est décrit des rites Méria. Un travail rigoureux consisterait ici à cadrer ces traditions, à savoir si elles existent bien (apparement oui). Mais non, le plaisir consiste à maintenir un mystère autour de cela. Peut-importe finalement que les Méria existent ou à analyser leurs rapport à la culture slave. Peut-importe de les situer dans l'espace et le temps. Il faut plonger dans le Dernier voyage de Tanya sans ces questionnements trop terre à terre.
Le film préfère la beauté romanesque. Il évite le pire des défauts à savoir le road-trip lourdingue et apitoyant. Le veuf Miron embarque dans son périple le narrateur et ami Aist. Rarement une voix off aura autant été aussi salvatrice. Un peu comme un très bon livre vous offre savamment ses mots, Aist ajoute par touche picturales sensations et réflexions. L'occasion de découvrir des traditions étonnantes, tendres et pleines de sens. Comme celle de laver le corps de la défunte puis de lui tresser des fils sur les poils pubiens en écho à un rituel semblable durant le mariage. La nudité est d'ailleurs régulière mais jamais malsaine. La mort ne plombe jamais non plus.
Au contraire, par un jeu de flashbacks malins, Fedorchenko brise la frontière vie/mort. Un travail de couleurs réchauffe un climat frigorifique. Le cadavre blême se fond bien avec la neige et la grisaille. Mais cette volonté d'offrir de la vie se traduit par des teintes rouges des habits, des rayons lumineux, une image saturés, surtout dans les flashbacks. En découle une sensualité affolante, où le regard porté sur les personnages n'en est que plus juste. Tout l'aspect visuel est remarquable, la classe d'un photographe se retrouve chez Fedorchenko. Le sens du cadre et de la mise en scène en découle et s'il utilise les méthodes classiques du cinéma d'auteur (peu de mouvement de caméra, travelling à l'économie), il sait remplir son cadre de tout un tas d'informations plus ou moins centrales.
Autre travail remarquable : celui du son. La musique vaut bien mieux que les mauvaises complaintes en forme de litanies lacrymales que nous serviraient de mauvais cinéastes. Ce n'est pas non plus du folklore puéril dont raffole Kusturica. Les accords et les voix transcendent elles-aussi le monde des morts et des vivants. Là où Elfman joue sur le gothique, Le Dernier voyage de Tanya semble miser sur les esprits de l'au-delà et les envolées lyriques subtiles. Cet ensemble fait de cet énigmatique film russe une œuvre pas forcément évidente d'accès. Pour quiconque arrive à plonger dans l'heure et quart de cet ultime chemin vers un autre monde, la terre semble revêtir ses plus beaux habits, sans que l'adieu n'est un goût amer. Paradoxalement, il aura fallu suivre une histoire de funérailles au cinéma pour assister à quelques uns des plus beaux moments de vies de 2010.
Le dernier voyage de Tanya, de Alekseï Fedorchenko, avec Igor Sergeyev, Yuriy Tsurilo, Yuliya Aug (Rus., 1h15, 2010)
La bande-annonce de Le Dernier voyage de Tanya :
Le Dernier voyage de Tanya - Bande annonce Vost FR
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