Anna All
Face une vie romanesque passionnante, Mike Mills passe à la réalisation d'un drame romantique. Mais c'est à un autre réalisateur que l'on pense sans cesse.
Dans le monde incroyable de Woody Allen, il existe des histoires qu'il n'écrit pas mais qui sont dignes de ses fulgurances créatrices. Dans le cas de Beginners, cela devient d'autant plus troublant que l'intrigue racontée par Mike Mills (clipeur et illustrateur d'albums) est en très grande partie autobiographique. Woody serait-il la Main Invisible qui forge les vies comme des histoires dignes de Manhattan ? Woody serait-il le véritable scénariste de ce Beginners ? Petite musique jazz, voix off informative, un terrain connu pour Allen. Il retournerait chercher l'acteur Ewan McGregor qu'il avait déjà dirigé dans Le rêve de Cassandre. Adepte de la tromperie, il ferait croire à tout le monde que son film fut réalisé par Mike Mills. Et puis, deux films en quelques mois, les gens trouveraient ça louche.
A moins que ça ne soit la théorie inverse. Et si Mike Mills était un « nègre » de Woody Allen ? Si la frénésie productiviste du binoclard new-yorkais venait de la sous-traitance silencieuse de son travail par des hommes de l'ombre, tout s'expliquerait. Car Mills semble avoir du mal à dépasser le maitre. Il y intègre bien un souffle plus jeune, quelque part entre 500 jours ensemble et Garden State. Mais cette histoire (vraie) d'un veuf divorcé faisant son coming-out (Christopher Plummer, génial) ne rappelle t-elle pas lointainement le récent Wathever Works ? Le chien faussement bavard serait-il le subconscient allenien de Mills ? Une chose est sûre, le cinéaste s'en amuse avec grâce. Il filme des instants de vie un tantinet triste pour aller puiser dans la nostalgie d'un homme perdu.
Là arrive la troisième théorie d'un grand complot Woody-allenien. Et si Mike Mills n'était que le fruit des créations du new-yorkais. Une sorte de créature de Frankenstein intellectuelle et névrosée. En d'autres termes, Mike Mills se serait construit en Homme avec comme modèle trop profond l'éternel narrateur de marivaudages modernes. Lui le dessinateur de pochettes d'albums à la créativité vaine, lui l'amoureux transi maladroit, lui qui en soirée déguisée joue un Freud stoïque ne cherche t-il pas une échappatoire au carcan romanesque et taquin de son modèle ? Le regard énamouré pour son père malade en dit long sur la jalousie tendre qu'il porte à un père qu'il préfère sauver que tuer.
Le mutisme des sentiments se traduit par un jeu sensuel dès lors qu'il tombe amoureux d'Anna (sans ses sœurs et sans « H »). Comment s'exprimer sans fard devant la fraicheur du jeu de Mélanie Laurent ? Il trouve la combine en inondant la pellicule de balades urbaines, de musiques folk-jazz, de pensées philosophiques légères sur la condition humaine. Le duo Plummer- Mc Gregor en relation père-fils surréaliste prouve encore une fois tout le bien que l'on pense d'eux. Ils ont chacun cette liberté folle du jeu, un phrasé unique mais toujours un air malin. Pas anodin qu'ils aient tous les deux incarnés Iago dans Othello sur les planches. Alors certes, la copie est moins belle que l'originale, mais Mike Mills semble avoir trouvé un sillon à creuser. Reste qu'on se demande quelle vie parallèle il sera obligé de créer s'il veut à nouveau réaliser.
Beginners, de Mike Mills, avec Ewan McGregor, Christopher Plummer, Mélanie Laurent (U.S.A., 1h41, 2011)
Sortie le 15 juin
La bande-annonce de Beginners :