Kurosawa ou comment maitriser à la fois le film historique ampli de symboles contemporains et la maturité esthétique et narrative digne des grands noms de l'art. La réponse est à extraire de l'essence même de ce film.
Les sept samouraïs nous plonge dans un Japon du XVIe siècle empli de féodalité et de brutalité. Un petit village menacé par des bandits engagent des samouraïs afin de les protéger. Cette fresque de plus de 3h s'immisce dans une société certes archaïque mais pas sans lien avec le Japon de la seconde moitié du XXème siècle. A ces deux époques, la figure de l'ancien est primordiale, le sort de la famille prime. Ainsi, le doyen du village, figure respectée, se révèle non seulement de bons conseils mais surtout rusé. Il anticipe les attentes des samouraïs et fait profiter au village son expérience. Ça, c'est pour l'aspect positif de la société décrite. Niveau négatif, on découvre une forme de fermeture sociale entre les classes. Impossible pour une femme de s'enticher d'un samouraï. Le sacrifice au collectif y est aussi montré. Vingt ans après le traumatisme de la seconde guerre mondiale, les sept samouraïs tente de réhabilité le sacrifice comme acte fondateur de la société. Le suicide n'existe pas, et quand un des samouraïs agit en solitaire, il se fait réprimander. « On combat en équipe », invective le sensei Kanbei.
Par son rythme très lent, le film dépasse le simple statut de western oriental. La première heure se concentre sur le recrutement des combattants, affinant le profil de chacun. La deuxième heure se penche sur la tactique et l'attente. Dans cette dernière composante, la lenteur du film permet une forme de contemplation tendue. Les désaccords et les craintes se comprennent d'autant plus pour un spectateur qui attend et admire. L'assaut à proprement parlé ne vient donc que dans un troisième temps, hautement épique. Tout le long, les pilleurs rodent comme une menace fantôme, à tel point que l'on se demande s'ils vont vraiment venir.
Guerre épais(e)
L'héroïsme de ces guerriers est le thème central, dont la quintessence se nourrit en Kikuchiyo (l'inoubliable Thoshiro Mifune, un habitué de Kurosawa). Si la cohésion de groupe prime, un peu à la manière des films soviétiques, la marge de manœuvre des individualités permet une émancipation aussi enviables que dangereuse. Kurosawa illustre la hiérarchie au sein du groupe de samouraïs. Dès qu'ils apparaissent tous ensemble sur un plan, leur position et leur posture sont millimétrées. Autre sommet esthétique, la forêt. Le cinéaste la filme toujours aussi bien depuis Rashomon. Elle symbolise encore une fois l'au-delà dangereux. La sauvagerie supposée de cette région contraste avec l'espace douillet violé par les guerriers. Les villageois semblent un peu décontenancés par cette intrusion pourtant vitale. Sauf que les samouraïs sont montrés comme respectueux et nobles.
Cet entremêlement de thèmes permet de brasser large niveau style. La comédie, le mélo, l'aventure s'invitent en plus des influences du western. Une filiation due à l'influence du cinéma américain sur le sol nippon. Entres autres références littéraires, le traitement des personnages fut tantôt rapproché de Tolstoï (Guerre et paix pour l'épique) ou Dostoïevski (sur la condition paysanne), tantôt Shakespeare. Mais c'est à nouveau du côté du cinéma soviétique qu'il faut se tourner. Le goût du spectaculaire sans esbroufe, agrémenté d'une musique épique fait penser à Eisenstein. La douceur poétique s'en fait aussi ressentir. Les corps mourant tombent sans bruit, dans un ralenti somptueux. Et comparé à l'image de Rashomon, les sept samouraïs ont une qualité bien supérieure. Peut-être une différence de traitement inhérente au succès immense de ce film. Tellement aimé à sa sortie que Les 7 mercenaires, la version américaine du film, sort 5 ans plus tard. On en reparle bientôt.
Les sept mercenaires, d'Akira Kurosawa, avec Takashi Shimura, Toshirō Mifune, Yoshio Inaba (Jap., 3h20, 1955)
La bande-annonce de Les sept samouraïs ci-dessous :