Le tant attendu faux-biopic de l'homme à tête de chou régale de bout en bout. Joann Sfar réalise un conte singulier, en rien insultant et fait renaitre en nos cœurs cette idole de la culture française.
Avant de se lancer dans une argumentation concernant une légende, il convient de préciser à quel point l'auteur aime ou non ledit personnage. Pour ma part, Serge Gainsbourg est une icône adorée, mais je ne fais en rien partie de fans absolus connaissant tout de sa carrière et de sa vie (quoi que). Tout comme il convient de positionner le long-métrage de Joann Sfar face au réel. Il l'a dit et redit, Gainsbourg (vie héroïque) se rapproche du conte, et pas du biopic traditionnel. C'est dans le mensonge et la légende que se construit un tel personnage. Ici, pas d'anecdotes éclairantes sur la vie du chanteur, encore moins une chronologie détaillée de ses caps artistiques. Pas de billets brulés, pas de tubes incessants tournant à pleins régimes, on navigue entre le cliché choisi et la suggestion.
Joann Sfar prend des chemins plus ambitieux que la Môme, et c'est tant mieux ! En se taisant sur les épisodes qui l'intéresse moins, le cinéaste évite le biopic larmoyant, linéaire et parfois chiant. Son Gainsbourg est celui de ses souvenirs, de son enfance, de la légende plus ou moins véridique. A ce titre, le film se concentre sur un double aspect de la vie de l'homme à tête de chou : sa judéité et son passé de peintre. Le premier aspect apparait de loin comme le plus passionnant. De l'enfant stigmatisé comme juif sous l'occupation à son affirmation d'homme « mi-légume mi-mec », Sfarr retrace à sa façon une histoire d'amour entre Serge et la France. Il va jusqu'à puiser l'essence même de la reprise reggae de la Marseillaise. A un moment où certains nous bassinent constamment avec l'identité nationale, en voilà une belle réponse.
Bonjour créatures
Cette forme de récit permet une construction faussement simple. Par saynettes se dévoilent tout l'art de construction supposé d'un grand homme. Sfar pose intelligemment son œil dans des environnements travaillés. La caméra prend le temps de poser son regard sur le monde qui se forme. A la manière des grands clippeurs (Glazer, Gondry, Jonze), on se retrouve devant des univers presque fantasmés. Les clubs, les chambres, tout semble construit si théâtralement que, paradoxalement, ils semblent en parfaite adéquation avec le personnage. On devine l'univers déjà présent dans les bandes-dessinées Le chat du rabbin ou le Petit vampire. En cela, il personnifie le double Gainsbarre à travers « la gueule ». Cette marionnette remplace non seulement la voix off mais sert de point de repère quant au degré de folie du génie. Plus encore, sa présence traduit ses pensées les plus perverses, les plus inavouables. Le rôle dans la scène offre un jeu subtil dans la complémentarité Gainsbourg/ Gainsbarre.
Autres créatures capitales dans le vie du parolier : les femmes. C'est autour de ses conquêtes que le film se structure. Bardot, Birkin mais aussi Greco et Bambou font irruptions plus ou moins durablement dans cette histoire. A ce titre, Gainsbourg (vie héroïque) nous gratifie de scènes merveilleusement belles. La construction de la Javanaise avec Juliette Greco fait preuve d'une douceur et d'un érotisme incroyable. Laeticia Casta incarne B.B dans ce qu'elle a de plus magnétique et de plus exaspérant. Mais c'est bien évidemment Jane Birkin qui transforme le plus l'homme. On assiste alors à la manière dont elle a un peu façonnée le mythe Gainsbourg.
Sur son nuage exactement
On pourrait s'attarder sur toute une série de seconds rôles plus ou moins bons (de Philippe Katerine décevant en Boris Vian à l'apparition de Claude Chabrol, très drôle en producteur) mais il convient de parler de la performance d'Eric Elmosnino. Cet acteur de théâtre va bien plus loin que le mimétisme. Il s'imprègne du personnage pour en faire une version partielle. Il n'a pas la prétention de l'incarner dans sa totalité. Sa ressemblance forte crée la distance nécessaire. Cet effet est d'autant appuyé que les acteurs chantent les morceaux (à la Walk The line), et évitent ainsi un côté karaoké des plus irritant. A une ou deux exceptions près, les présences de musiques sont réinterprétés, voire modernisées. Mieux, Sfar ne fait pas l'éventail des tubes du compositeur osant même quelques titres moins populaires.
C'est cet ensemble qui crée un sentiment très fort. A forte portée comique, Gainsbourg (vie héroïque) crée pourtant une nostalgie terrifiante. Comme si on regrettait encore plus fort celui qui a changé la culture musicale française le plus profondément depuis son homologue belges Brel. Sa carrure alliée à son amour si particulier de la France en font une légende encore plus indestructible qu'avant. Chacun aurait presque envie de raconter son Serge Gainsbourg. Une tristesse se dessine même au générique (au sens propre comme figuré) quand Sfar dédie cette œuvre à Lucy Gordon. Elle qui incarne si bien Birkin, fondatrice d'une partie du mythe, la voilà disparue tragiquement. Eh Lucy, si dans ton ciel plein de diamants tu croises Serge, dis lui qu'on parle de lui, il va s'en rouler un pour fêter ça !
Gainsbourg (vie héroïque), de Joann Sfar, avec Eric Elmosnino, Lucy Gordon, Laeticia Casta ( Fra., 2h10, 2010)
La bande-annonce de Gainsbourg (vie héroïque) ci-dessous :