Chronique psychologique marquante sur les traumatismes d'un reporter de guerre. Un mélo classique mais rude.
C'est un fait : Colin Farrell a mauvaise presse. Il lui est souvent reproché ses excès, son jeu plat et sans émotions. Bref, en dépit d'une carrière déjà impressionnante (Bons Baisers de Bruges et Le Nouveau Monde en tête), l'irlandais ne fait pas parti des chouchous du public et de la presse. Il va pourtant falloir s'y faire et accepter le talent du bellâtre. Preuve encore avec Eyes of War où il incarne un photographe de guerre.
Un sujet finalement original pour lequel Farrell donne de sa personne en perdant quelques vingt kilos. Eyes of War ne parle pas d'exploits ni de mérite à être sur le front pour couvrir les conflits mondiaux. Danis Tanovic, déjà réalisateur du très réussi No Man's Land, préfère se concentrer sur les traumatismes psychologiques et physiques. Finalement, c'est vrai, comment ces gens qui côtoient la mort de près, doivent garder un œil aguerri et stoïque résistent-ils face aux fantômes des victimes ? Comment se vivre normalement quand on a assisté aux déchirements de peuplades entières ? Issu d'une nouvelle de Scott Anderson, le film nous retrace le périple éprouvant de Mark, en mission avec son éternel ami David, sur le front des opérations Kurdes durant la première guerre du golfe. Si les deux compères sont des habitués de l'horreur du monde, David a vent d'autre chose. Et notamment de rentrer chez lui pour assister à la naissance de son enfant. Après avoir été blessé dans une opération tête brulée, Mark est rapatrié tandis que personne n'a de nouvelles de David.
La première partie du film se concentre sur l'horreur de la guerre, au milieu de décors si beaux. Là bas, les photographes découvrent le Triage, un hôpital de guerre où l'on abat les blessés graves à l'arme à feu. Tanovic saisit très bien cette ambiance d'horreur permanente et de choix inéluctables. Au moment d'être rapatrié après sa grave blessure, Mark lance même non sans ironie « merci pour l'accueil ». C'est dans son second segment (environ les 2/3 du film) qu'Eyes of War dévoile toute sa force. Les blessures physiques et psychologiques de Mark/Farrell se corrèlent à la disparition de David. Trame à la fois complexe et simple pour ce mélo intelligent. On pourrait lui reprocher quelques approches un peu faciles. Comme la scène d'entrée de Christopher Lee où, par un didactisme appuyé, on nous explique qu'il fut une sorte de psychologue pour criminels de guerre.
Mais l'essentiel n'est pas là. On se retrouve happé par le regard de Colin Farrell tant les larmes et les regrets se dissimulent mal derrière la carapace. Le spectateur se retrouve à la place de sa femme, la délicieuse Paz Vega (Lucia et le sexe). Par son impuissance de facto, elle renonce à ses propres fantômes (un grand-père détesté) afin d'aider l'homme qu'elle aime. Un corps sans âme déambule en boitant dans l'appartement où les photos de guerres défilent. Christopher Lee, par sa voix rauque et résonnante, permet de faire ressortir les démons dans des face à faces de grande classe.
Les deux compagnes (Paz Vega et Kelly Reilly) ne sont pas justes des faire-valoir sexy. Elles illustrent un mélange de tolérance de voir leurs conjoints risquer leur vie et une impuissance devant une horreur qu'elle ne peuvent pas connaître. On souffre pour elles. Eyes of War n'est de toute façon pas un film confortable. Notre esprit est mis à rude épreuve. Non pas que que le scénario se révèle complexe voire obscure -il serait même finalement assez prévisible- mais les images offertes peuvent en retourner quelques uns. Les rares explosions surprennent, la chair meurtri vous fait presque remonter les odeurs de pue dans la nez. Et puis, il y a cet hôpital de fortune. Le médecin, presque divin, décide de la vie ou de la mort. L'euthanasie comme ultime échappatoire à l'abandon sanitaire d'un pays, un constat bien effrayant. La vie ne tient qu'à un choix d'étiquette, qu'au jugement hâtif d'un médecin. Difficile pour Mark de vivre sereinement après ça. Porté par des acteurs toujours justes, à la réalisation classique mais propre, Eyes of War est bel et bien une agréable surprise.
Eyes of War, de Danis Tanovic, avec Colin Farrell, Paz Vega, Christopher Lee (Irl., Esp., Fra., Bel., 1h36, 2010)
Sortie le 16 juin
La bande-annonce de Eyes of War ci-dessous :