Chronique faussement banale d’un chanteur de country désuet. Servi par une BO superbe et des seconds rôles tout en retenue, Jeff Bridge peut exprimer pleinement son talent.
Il est des histoires que l’on peut vous raconter 100 fois, si on vous apporte une petite touche personnelle, elle vous plaira toujours. Un peu comme les histoires de Père Castor. Il symbolise cette faculté à transporter les esprits avec ce qui pourrait être d’une banalité confondante. Crazy Heart est comme le rongeur pantouflard. On a déjà vu ces histoires de chanteur fauché, alcoolique, ancienne gloire sur le déclin. Le summum fut atteint par Walk The Line, au sommet duquel on admirait Joaquim Phoenix. Réalisé par Scott Cooper, Crazy Heart conte l’histoire de Bad Blake, chanteur country au triomphe passé.
Si le scénario s’avère relativement attendu, le film évite d’enfiler les clichés comme des perles. Face à ce genre de chroniques à Oscar, il est de coutume d’appuyer maladroitement sur les bons sentiments, les erreurs dramatiques et les faux rebondissements. Ici, rien de tel. Si Bad Blake rencontre l’amour, subit l’alcool et vie sa musique, l’ensemble se fait avec un équilibre remarquable. Cooper récupère ces clichés de l’Amérique pour les rendre plausible, presque naturels. Comme si cette tendance du cinéma américain à nous servir une forme calibrée de rebondissements se nourrissait naturellement de leur vécu. La mise en scène posée permet de contempler ces acteurs s’engouffrer dans leurs rôles, se parler, échanger. Quelques beaux paysages du sud des Etats-Unis viennent irradier le tout faisant de Crazy Heart une sorte de road-movie.
Remarquable Jeff Bridges
Car Blake est un nomade, vivant tant bien que mal de sa musique. Ses petits concerts dans des bars lui permettent tout juste d’entretenir son amour de la bouteille et de s’enivrer de femmes groupies. Afin d’incarner au plus près cet homme, nous avons droit au fantastique Jeff Bridges. Il est tout simplement époustouflant se fondant tout en finesse dans ce rôle. N’en déplaise à Marion Cottillard, pas besoin d’en faire des tonnes dans le mimétisme pour incarner un artiste. Il suffit de se le réapproprier, sobrement, sans cabotinages vains. Autour de Bridges, des seconds rôles lumineux. Maggie Gyllenhaal, comme souvent, excellente, Robert Duvall, en ami et patron de bar et surtout Colin Farrell.
Là où l’on pouvait craindre une surexploitation de son personnage Tommy Sweet, ancien élève ayant dépassé le maitre, Cooper la joue intelligemment. Les rapports Bridges/Farrell symbolisent à la fois une forme de concurrence entre les générations et une forme de reconnaissance des cadets pour leurs illustres ainés. En témoigne cette scène de répétition où Blake insiste pour avoir l’arrangement sonore qu’il souhaite. Ce n’est pas au vieux singe que l’on apprend l’acoustique. Comme un symbole, Jeff Bridges commence le film dans un bowling, hommage appuyé à The Big Lebowski. Mais Crazy Heart est avant tout une ode à la musique. Les sons country prennent toute leur place. Les performances vocales des acteurs fusionnent avec les arrangements musicaux. Toute chanson raconte une histoire, et la BO de Crazy Heart raconte une partie de l’Amérique, toujours vagabonde à la recherche de sa stabilité. Ces nomades ne se plaignent pas de leur situation, savent que l’effort personnel aide au miracle. A ce titre, Blake fait figure d’exemple, à la fois modeste et sincère, imparfait mais attachant. Un Oscar pour Jeff Bridges, s’il vous plait !
Crazy heart, de Scott Cooper, avec Jeff Bridges, Maggie Gyllenhall, Robert Duvall, Colin Farrell (U.S.A., 1h50, 2010)
La bande-annonce de Crazy Heart ci-dessous :