L'arbre de la mort*
Le ballet macabre du choc de deux planètes donne à Lars Von Trier l'occasion de montrer sa vision lyrique et nihiliste d'une humanité témoin de ses dernières heures. Paradoxalement le plus lumineux des films du danois.
L'univers en continuelle expansion compte quelques millions de galaxies, elles-mêmes ayant des myriades d'étoiles. Les planètes, plus ou moins semblables à la nôtre, gravitent et laissent ces pauvres êtres que sont les Hommes dans un espoir de vie extra-terrestre. Plutôt que de se faire croiser les vivants, Lars Von Trier, personnage au regard sombre, préfère le choc des planètes. Il émet l'hypothèse d'un astre en collision avec la Terre sonnant son glas. Melancholia, c'est son nom, brûle d'un bleu aussi resplendissant qu'inquiétant. Le film commence par cette fin du monde épique sur les notes de Richard Wagner. L'utilisation de segments de Tristan et Isolde célèbre la danse macabre entre les deux planètes. Un jeu d'attraction destructeur plus troublant dans ses moments de repos -la musique revient tel un thème récurrent- que dans l'explosion des cordes.
C'est par le travail du son que Melancholia transcende pourtant la simple carte postale cataclysmique. Avec le 5.1 et la saturation des effets, LVT par deux fois fait entrer en collision le spectateur, en phase avec la mort, et la planète. Les images du cosmos, regard modeste du terrien observateur, rappelle l'autre grand film de Cannes. Terrence Malick et Lars Von Trier incarnent le Ying et le Yang de l'univers au cinéma en 2011. Le réalisateur de The Tree of Life en serait la partie claire, avec cette pointe de noirceur issue du deuil. Le danois plus pessimiste apporte un sujet entièrement mortifère. Pourtant, chose presque unique chez lui, cette fin du monde offre des moments lumineux, presque apaisés, bien loin des images de films catastrophes habituels. Dans ces deux films se portent un regard d'Homme impuissant. L'arbre de vie montrait une évolution darwinienne où le regard contemple le passé. Melancholia aborde le nihilisme et les dernières heures de l'humanité. Un monde sans lendemain où son héroïne est persuadée qu'il n'y a pas de vie ailleurs.
Justine sous ses atours de femmes encore écrasée par les insupportables postures de Von Trier se révèle le personnage le plus intéressant de toute la carrière du cinéaste. Pour la première fois, une femme ne porte pas tout le malheur du monde. Masculin et féminin se conjuguent ensemble devant l'impuissance. Pis, Justine semble la seule sereine face à l'inéluctable dénouement. La première partie du film fait pourtant craindre le contraire. Lors d'un mariage cauchemardesque, elle détruit se qui devrait être le plus beau jour de sa vie. Von Trier a toujours transmis son mental de dépressif aux actrices qui l'entoure, d'Emily Watson (Breaking The Waves) à Charlotte Gainsbourg (Antichrist). Cette dernière incarne Claire, une sœur en contrepoint à Justine/Kristen Dunst. A savoir une pragmatique de la vie mais dépassée par la suite des évènements. Cette longue partie sur le mariage n'est pas sans défaut. On saisit mal une partie des ellipses et les cadres très serrés en mouvement perpétuel captent un peu tout et n'importe quoi.
A la lumière de la seconde partie, ce choix devient plus limpide. Au bouillonnement vain des célébrations succède un ballet lent et inexorable. La vitesse astronomique de la planète apparaît douce au regard humain. Une poésie se dégage même de la cohabitation entre Melancholia et la Lune lors d'un plan surréaliste. Les étoiles vues depuis notre ciel sont souvent déjà mortes. Les années lumières qui nous séparent d'elles offrent des images datant parfois de plusieurs millions d'années. Avec Von Trier, le cosmique devient immédiat. La science désemparée se personnifie en John, alias Keifer Sutherland. L'éternel héros de la série 24h chrono n'a rien du sauveur.
Le pari rappelle Luis Buñuel et son L'ange exterminateur. Personne ne partira, tout le monde fait face. Les atours peu glorieux des personnalités s'affirment, des rivalités des parents John Hurt et Charlotte Rampling à la perte de sang-froid d'une mère qui se demande où grandira son fils. L'atmosphère étouffante du château se fait d'autant plus ressentir que les jeux chromatiques proches du marron-jaune ne laissent guère la lumière prendre sa place. Les instants les plus éclatants interviennent quand l'atmosphère apporte la neige à un jardin fleuri. Les tableaux du premier quart-d'heure forment un préambule autant qu'une sentence. On y retrouve la seule qualité d'Antichrist avec ces images aux ralentis envoutants. Les forces telluriques engloutissent le monde des vivants, les éléments aériens s'asphyxient devant la charge de l'autre planète bleue. Lars Von Trier se dit tiré de la dépression. Un peu comme Justine, personne digne devant la fin du monde, témoin plus intelligent que les autres. Il y a quelque chose de la flagellation catholique dans le chemin de croix que vivent les humains. Loin d'atteindre la perfection, notamment en terme d'émotion pour les personnages, Melancholia impressionne néanmoins par la mort qui nous arrive en face. Tel les grands maîtres du lyrisme en musique (on en revient à Wagner entres autres), Lars Von Trier se positionne en parangon du drame nihiliste et pictural. 2011, année cosmique.
Melancholia, de Lars Von Trier, avec Kristen Dunst, Charlotte Gainsbourg, Kiefer Sutherland (Dan. Sue., Fra. All., It., Esp., 2h10, 2011)
*un titre compréhensible pour ceux qui ont vu la fin du film
Sortie le 10 août
La bande-annonce de Melancholia :