L'enfer carcéral des mineurs
A l'occasion de la sortie d'un coffret Alan Clarke, chronique de Scum, film coup de poing sur les prisons pour mineurs. Un monument du cinéma trop méconnu et paradoxalement mythique.
La sensation des premiers instants de Scum sonne comme une évidence. Pas de générique, gros plan sur un jeune homme désabusé dans un fourgon. Il sera enfermé. Angoisse. Une ouverture qu'utilisera d'ailleurs Audiard trente ans plus tard pour un Prophète. Sauf que là, pas de contre-champ sur un espace de liberté perdue, la mine patibulaire de Carlin n'est rien en comparaison de ce qui l'attend. Et ce qui l'attend, c'est l'univers carcéral au nom adoucit en « bortsal ». Des centres de détention pour mineur dont les conditions de survie furent mise au grand jour par ce film. Le scandale de ces images fut tel que la BBC refusa la diffusion et que le choc contribua à faire abolir ces prisons en 1982. Un film engagé donc mais avec intelligence. Avec Carlin arrivent Angel et Davis. Trois visages encore innocents malgré leurs condamnations. Le bortsal symbolisait le pan le plus répressif et inhumain de l'Angleterre de Tatcher -alors tout juste arrivée au rang de Premier Ministre.
Le principe de Scum est d'utiliser la prison comme un microcosme. La procédé de mini-Etat fascisant fait penser au déroulement de Vol au dessus d'un nid de coucou, où l'injustice totale se doublait d'une indignation épidermique. Cet enfermement, c'est le Chili en proie aux soulèvements populaires, c'est Jack Nicholson réclamant le match de base-ball. Alan Clarke fait monter la tension par cette indignation même qui crée les drames. Le choc est rude. Les humiliations du quotidien vont crescendos. Les matons laissent faire les petites frappes. Une micro-société s'organise où l'honneur dicte la conduite. Le système devient pervers dans sa manière de berner les pauvres gamins. Les caïds tendent des pièges, humilient, frappes, violent. Puis les matons réprimandent les souffre-douleur, feignent jouer la justice. Ainsi, la victime prend une double-peine, puisque punie par le gouverneur. Ces prisons créent des caïds pire que dans la nature. Le mal rode en se muant à travers ce qui ne devraient être que des enfants.
Le parti pris de la mise en scène se traduit dans sa manière de montrer les comportements dictatoriaux des dirigeants. L'ordre y règne jusqu'à l’écœurement. Les adultes encadrent les mômes pendant leur condamnation devant le gouverneur. Les séances d'inquisitions qui n'ont rien à voir avec un plaidoyer. Aucune chance de s'en sortir sans journée de placard ou sans privation de privilège. Tout fait penser aux pires prisons pour adultes, dépeintes mille fois au cinéma. Sauf que là, il s'agit bien de mineurs à qui ont fait croire qu'il sont éduqués ainsi. Le bonheur n'a pas sa place. Archer, personnage spiritualiste, sorte de sage issu des mythologies orientales, se fait réprimander parce qu'il peint « I'm Happy » sur un mur. La peinture devient tag. La lueur optimiste devient délinquance. Dans ce point de vue sans concession, Clarke voit le redressement judiciaire comme l'incarnation de la mort de l'équilibre social.
Tout est froid. La seule couleur rouge présente se limite au sang, abondant. Les visages tuméfiés épousent de leur violet bleuté les murs beiges et décrépis des salles de détentes. Peu de lumière parvient à ouvrir l'espace. L'enfermement y devient même totalitaire quand Scum détourne l'imagerie soviétique. Alors que les détenus pellettent du charbon devant une baraque en briques rouges, Carlin, accoutré d'un bleu de travail, va régler ses comptes avec le chef noir d'un autre secteur. Le tabassage à coup de bâtons renvoie à l'iconographie des révoltes bolcheviques. L'abnégation dans l'effort fait penser à l'idéalisation du travailleur moralement exemplaire qu'aimait tant Staline. Dans l'Angleterre des années 70 comme chez les soviétiques, le bon citoyen doit se mouvoir en stakhanoviste. Ici, si possible dans les carcans de la morale religieuse. Avec ses mises au pas militaires, ses contres-plongées mortifères et ses visages plein de désespoir, Scum fait l'effet d'un électrochoc au final ahurissant. Les jeunes garçons subissent un diktat tel que même le sergent Artman de Full Metal Jacket ne peut rivaliser.
Scum de Alan Clarke, avec Ray Winstone, Mick Ford, Julian Firth (G.-B., 1h33, 1979)
Coffret Alan Clarke 3 dvd de Potemkine et Agnes B. disponible.