Récit poignant de la femme cachée du Duce, servit par une mise en scène proche du ballet tragique, et des acteurs flamboyants.
Le cinéma italien serait-il en train de retrouver de sa superbe ? Après des années noires et même si la création cinématographique dans la botte reste une chose complexe, force est de constater que les italiens se donnent une belle image dans le 7ème art ces derniers temps. Il y a bien sûr eu Gomorra, mais aussi Il Divo, le déjeuner du 15 août et bien d'autres. Présenté au dernier festival de Cannes, Vincere est reparti bredouille. Sa qualité générale aurait pourtant méritée d'être récompensée.
Ilda Dalser rencontre à Trente un jeune socialiste dynamique, un peu tête brulée. Sa carrure, sa grande gueule et son abnégation séduisent la belle brune. Cet homme, c'est Benito Mussolini (Fillipo Timi). Histoire terrible mais vraie, Vincere raconte comment cette femme s'est faite flouée par l'homme à qui elle sacrifiera sa vie, un homme en fait déjà marié, un homme trop attaché à ses rêves de grandeur, un homme qui abandonne une femme et son enfant un temps reconnu, puis nié. Si la première partie envoute par son lyrisme intime, accompagné de sublimes airs d'opéras, la seconde partie narre avec intensité la lutte d'une femme désespérée.
Du grand cinéma
Marco Bellocchio, septuagénaire dont plus personne n'attendait rien, livre une grande partition de cinéma. A l'instar d'un Inglorious Basterds ou d'un Public Ennemies, le destin et l'Histoire se jouent dans la salle de projection. Cela donne lieu à quelques scènes incroyables où les spectateurs s'insultent quant au déroulement des évènements. Socialistes contre fascistes s'écharpent devant des images de guerre, les apparitions du Duce à l'écran provoquent un salut fasciste général. Cette grande histoire se dessine aussi par les journaux, les tracts. La violence physique n'est jamais loin, discrètement cachée par une fausse bienséance du théâtre traditionnel. En revanche la violence psychologique est omniprésente.
A travers le regard d'Ilda Dalser se cristallise une image trop peu mise en valeur d'habitude. Dès le début du film, dans une scène d'amour aussi tendre qu'effrayante, Mussolini est montré en contre-plongé, le regard globuleux, les traits durs, comme insensible aux mots doux de sa compagne. Le Duce était une sorte d'objet de fantasmes, une prestance à l'attrait sexuel indéniable. Si Ilda cherche à être reconnue comme épouse légitime, les femmes l'entourant voit cette lutte vaine différemment. Il y a d'abord cette folle qui lui demande naturellement s'il « baise bien » ; il y a surtout cette bonne sœur qui lui dit qu'elle devrait s'avérer heureuse d'avoir été son amante.
Vincere offre la possibilité de voir l'Italie fasciste comme un pays enfin fier de ce qu'il est. On voit clairement le basculement d'un Mussolini de sa fougue socialiste- homme représenté comme turbulent, beau, bien habillé-, à son changement de retour de la guerre, en homme converti. Le moment où il s'embarque dans les engrenages du pouvoir concorde avec l'abandon d'Ilda. A partir de là, ni elle, ni nous ne le reverrons directement. Seules les images d'archives nous parviennent. Il existe clairement un décalage physique entre le Benito jeune, beau et le Mussolini réel, aux traits durs et à la verve surjouée. A travers cette double pénétration dans l'histoire, Bellocchio permet à son film de prendre une ampleur incroyable.
Une femme est plus qu'une femme
Le rôle très complexe de cette femme trahie est magistralement interprétée par Giovanna Mezzogiorno. Elle ressemble un peu à Marion Cottillard, mais en plus belle, au regard plus envoutant et avec une qualité d'actrice bien supérieure à la française. On ne peut qu'admirer la vigueur avec laquelle cette femme va lutter pour faire reconnaître son fils. Psychiatres, religieux, miliciens, tous échouerons à la résigner. Chaque plan rapproche inéluctablement Ilda vers une mort intérieure. De sa fraicheur et de sa beauté dans sa robe de mariée, on la retrouve comme un zombie aux cernes marqués. Malgré tout ce poids, ce qui reste de son charme naturel illustre cette force intérieure avec lequel elle se bat jusqu'au bout.
Afin de montrer au mieux ce périple, le réalisateur a fait le choix d'une mise en scène audacieuse. Quelques plans magnifiques appuient toujours plus l'impression d'assister à un opéra cinématographique. Un jetée de lettres à travers le grillage de l'hôpital, le tout alors que la neige tombe fortement, est sublime. La scène où Ilda regarde le Kid vous prend aux tripes- voire aux larmes. Vincere est très peu bavard, mais quand le flot de paroles devient plus conséquent, les dialogues sont d'une haute qualité. Finalement difficile de trouver un défaut à ce grand film. Peut-être quelques longueurs, ou le risque, assez peu probable, de ne pas accrocher à l'aspect lyrique-intimiste de sa mise en scène. La puissance crépusculaire de cette œuvre prouve vraiment que le cinéma italien est encore capable de grandes choses.
Vincere, de Marco Bellocchio, avec Giovanna Mezzogiorno, Fillipo Timi, Fausto Russo Alesi (It., 1h58, 2009)
La bande-annonce de Vincere ci-dessous :