Être le premier dans son village
Le quatrième film de Clooney réalisateur se penche sur les coulisses de primaires démocrates aux U.S.A. La fiction est tellement bien documentée qu'elle en dégoûte presque de la politique. Malin mais pas populiste.
Le film commence avec un Ryan Gosling feignant un discours de meeting. Le ton sûr de ses propos dérive vite vers une absurdité légère. En réalité, il joue le conseiller de campagne du candidat démocrate Morris et teste le son du micro. Clooney met tout de suite en avant cette farce énorme qu'est la politique de spectacle. Peu importe les mots, il suffit presque d'y mettre l'envie. Cette scène d'ouverture illustre d'ores-et-déjà la solitude constante du jeune Stephen Meyers/ Ryan Gosling. L'imperturbable gamin de Drive se libère de sa carapace. Il va en avoir besoin. Seul sur la scène, il se met au service des techniciens, de son candidat et du chef de campagne (Philip Seymour Hoffman). Les marches du pouvoir relate les conflits de personnalités au sein d'un même camp. La lutte ne se fait pas tant sur les idées que sur la stratégie.
Le sujet apparaît un peu étonnant venant de la part de Clooney. Son envie de parler du pouvoir dans ses réalisations (Good Night and Good Luck) comme dans ses productions (Syriana) avait pour but de tacler l'administration Bush. Or là, l'ancien fervent supporter d'Obama a l'air écœuré. Et comme il n'est pas lâche, il se met en scène dans le rôle du candidat. Une sorte de faux-grand seigneur, captivé avant tout par la réussite. Sa douceur d'oisillon cache en réalité un vrai piranha. Or, le film ne le montre jamais frontalement- sauf une scène. Tout ou presque se fait par échanges téléphoniques et discutions à l'ombre des projecteurs. Comme dans cette scène où Gosling révèle à son mentor que l'adversaire a essayé de le récupérer pour sa campagne. Ils sont cachés derrière un grand drapeau américain. Leur échange est étouffé par le discours de Morris sur scène. Mais c'est bien entre eux que se joue l'avenir du scrutin, pas devant les électeurs.
Le travail de Clooney cinéaste n'a rien d'anecdotique. Il exploite magnifiquement les capacités de cadre. Rien n'est superflu, rien n'est abscons. Un travelling révèle les prompteurs et la famille en coulisse, un contre-champ ramène un personnage dominant au statut de dominé. Hoffman et Giamatti, parfois abusifs dans leur jeu, trouvent la gestuelle parfaite de politiciens malicieux. Ces deux comédiens se ressemblent d'une certaine manière. Ils n'insufflent aucune confiance avec leurs mines patibulaires. Le film utilise aussi la figure féminine d'Evan Rachel Wood en montrant le petit personnel mis à mal. Indice évocateur de l'ambiance malsaine : le titre original The ilde of March. Il vient d'un oracle shakespearien qui prévient Jules César qu'il sera assassiné. La violence, au moins morale, de la quête du pouvoir a aussi à voir avec ce genre de trahisons tragiques.
Les marches du pouvoir, de George Clooney, avec lui-même, Ryan Gosling, Philip Seymour Hoffman (U.S.A., 1h35, 2011)
Sortie le 26 octobre
La bande-annonce de Les Marches du pouvoir :