Dernière apparition de Viggo Mortensen devant la caméra (avant sa soit-disant retraite) dans l'adaptation du fameux roman. Parcours initiatique d'un enfant sur l'humanisme quand l'humanité a disparue. Touchant.
Essayons de sortir de l'écrin de McCarthy pour ne se concentrer que sur l'objet cinématographique. John Hillcoat s'attaque donc à l'adaptation de la Route, immense best-seller mondial. L'histoire d'une errance d'un père et son fils dans un monde post-apocalyptique. L'histoire surtout de la bienveillance de l'adulte essayant de sauver son gamin dans un environnement hostile. Allure de SDF crasseux et clopinant, ces deux personnages se rendent vers la côte. Là bas, peut-être une vie moins rude, mais pas sûr.
La Route tient en haleine le spectateur grâce à la teneur de son propos. Viggo Mortensen impressionne par sa tendresse et sa force. Il représente ce que tout père veut être. Il cherche à protéger son fils des agresseurs extérieurs, dont le pire reste les cannibales. Le film nous montre cette ambiguïté entre apprentissage d'une méfiance légitime pour un jeune encore trop naïf et volonté de garder son humanité quand elle n'existe plus- à savoir ne pas manger d'homme. Ainsi, le réalisateur nous gratifie de plusieurs scènes absolument bouleversantes de force. Une où Viggo est près à utiliser la dernière balle de son pistolet pour tuer son fils et lui éviter une fin pire encore. En une trentaine de seconde, la tension atteint son maximum, les regards désabusés et terrifiés des deux protagonistes prennent aux tripes. Autre scène très belle : lorsque Mortensen tient dans ses bras le petit et lui lave la tête pleine de sang. A travers ce geste se lit toute la dévotion affectueuse qui permet de retrouver la vie.
Fuite glaciale
La père n'a de cesse de le répéter : il prépare l'enfant à vivre sans lui. Car très peu d'espoir subsiste. On le sent particulièrement dans les scènes de flash-back, où l'on y découvre une famille perdue devant la déchéance du monde. D'une caresse mélancolique sur la tête du cheval à la souffrance morale d'accoucher pour la mère (Charlize Teron, sobre et efficace), la bonheur semble inexistant. Viggo est décrit à tord par certains comme christique (je conseille à ces gens de relire la Bible, et de sortir des clichés), or, ici point de rédemption, ni de miracles. Il ne fait qu'incarner un père de famille hanté par la mort de sa femme dont il se sent coupable. Un mot sur l'interprétation fantastique de Kodi Smit-McPhee pour annoncer qu'il va falloir le surveiller de près, il pourrait bien faire une grande carrière, tant il est envoutant ici.
La voix off du héros fait pénétrer par instants le spectateur dans l'écriture de McCarthy. Pour compenser la quasi absence de la verve de l'auteur, Hillcoat s'appuie sur une mise en scène léchée. Le travail du chef opérateur est sublime et les décors privés de toute lumière solaire glace l'image. Si la couleur existe, sa quasi absence crée un gris général proche du noir et blanc. L'occasion de profiter des plans fixes et des quelques effets de cut soigneusement travaillés. Le tout permet de se crisper sans être dans une surenchère « Mad Maxienne » ou dans le surréalisme d'un Je suis une Légende. Et comment ne pas saluer le travail musical de Nick Cave enfin d'enrober le tout de son voile mélodique.
La Route est une franche réussite, et tout père de famille se reconnaitra dans cette histoire de dévotion paternelle, à la fois sincère et par moment maladroite. Un film marquant, émouvant, qui sans se vouloir larmoyant pourrait tirer quelques larmes aux plus sensibles. A ne pas rater, vous manqueriez un beau moment d'humanité désenchanté (jusque dans sa fin, mais chut)...
La Route, de John Hillcoat, avec Viggo Mortensen, Kodi Smit-McPhee, Charlize Teron (U.S.A., 1h59, 2007)
La bande-annonce de La route ci-dessous (en précisant que les vingt premières secondes ne sont même pas dans le film) :