Michel Gondry abandonne temporairement ses bricolages si vénérés pour nous offrir un documentaire intimiste sur sa tante Suzette. Bien plus malin, touchant et beau qu'il n'y paraît.
Gondry, l'un des meilleurs cinéastes des années 2000, clipeur de génie et rêveur éternel quitte momentanément le sol américain et revient sur ses terres, les Cévennes, afin de parler de Suzette. Qui est cette retraitée à l'esprit vif malgré l'âge ? Sa tante, dont il lui fait conter sa vie d'instit'. Rien de folichon en apparence. Sauf que dans la famille Gondry, derrière une sobriété touchante se cache une douloureuse incompréhension. La fameuse « épine dans le cœur ». A ceux qui auraient pu penser que le réalisateur d'Eternal Sunshine n'était qu'un amuseur à mi-chemin en le prestidigitateur et le bricoleur, L'Épine dans le cœur prouve le contraire.
Plutôt que de faire un docu banal, Michel filme les à-cotés, choppe la confession durant un petit-dej, nous fait sentir l'ambiance fraternelle durant un repas chaleureux. On dit parfois que le making-off en apprend plus que le film lui-même. L'Épine dans le cœur conjugue les deux. Plutôt que d'utiliser un plan raccord parfait, il va garder le manque de synchronisation, une perche dans le plan, un quiproquo rigolo. Méthode fabuleuse aux vertus multiples. En plus d'y déceler les anecdotes croustillantes, le détail signifiant, on saisit l'intime sans voyeurisme. Michel Gondry n'est pas tant réalisateur qu'acteur à part entière.
L'interaction entre filmé et filmeur dépasse le simple documentaire et laisse place à une forme de discussion aux aveux douloureux. Suzette vieilli, s'en rend compte et se plait à faire un bilan de sa vie. Michel saisi ce qu'il ne soupçonnait pas. Jean-Yves, fils unique de Suzette, homosexuel introverti, s'invite bien malgré lui dans ce portrait itinérant qui ne devait nous amener que d'école en école. Garçon fragile, il incarne toute les blessures de sa mère. Une « épine » plantée si profondément qu'elle en est devenue vitale. Car à l'image de certaines blessures de guerre où la victime doit vivre avec une balle ou une flèche dans le corps sous peine d'hémorragie fatale, l'ancienne maitresse s'accroche à Jean-Yves malgré la douleur infligée. Michel n'a pas d'égal quand il s'agit de trouver un équilibre joie/tristesse, souvenir/avenir ou solidité/fragilité. On y découvre le terreau de son univers.
Jean-Yves aussi faisait des petits films en super-huit, utilisés en archives ici, il se passionne aussi pour les maquettes, comme Michel. Une maquette de train notamment, fil narratif et lien dénoué entre le portrait social et la vie privée de Suzette. De-ci de là, le bric-à-brac se glisse entre deux plans : on rend des écoliers invisibles, on recrée un cinéma dans un bois, on déniche de vieux films à la pellicule abimée. A la fois terriblement tendre et violent dans ses révélations familiales, l'Épine dans le le cœur trouble tant il éclaire sur la difficile alchimie mère/fils. Le tout dans un hommage à une figure de la France rurale et laïque, aussi dévouée qu'indépendante.
L'Épine dans le cœur, de Michel Gondry, avec Suzette Gondry, Jean-Yves Gondry, Sasha Allard (Fra., 1h26, 2010)
Un extrait de l'épine dans le coeur ci-dessous :