Émois adolescents
Film du trop méconnu de Jerzy Skolimowski, Deep End ressort en salle ces jours-ci. Son exploration pop et colorée d'un Londres des années 70 en fait un œuvre charnière des découvertes de fantasmes adolescents.
Pendant que Scorsese faisait ses premières armes, Skolimowski, émigré polonais à Londres, s'amusait déjà avec légèreté des années 70 débutantes. La caméra fluide de Mean Street se retrouve déjà dans ce Deep End en parcourant la capitale anglaise grisâtre. Rythmé par les compositions de Cat Stevens et Can, le long-métrage préfère la face rock. Mike, tout juste sorti du collège choppe un premier job dans un établissement de bains. Apparaît alors la rousse incendiaire Jenny. Si son désir n'a rien de crispant pour elle au début, l'insistance maladroite du jeune homme pose très vite problème. Deep End ne s'encombre d'aucun jugement. Il s'amuse plutôt des situations cocasses bien que le drame s'y mêle.
Le film joue sur la frustration d'un gamin pas assez libertin pour coucher avec la première venue. Il veut "trouver la bonne" avec cette détermination timide de vierge. Et évidemment, il souhaite que ça soit Jenny. Du coup, Jane Asher joue un fantasme au minois affriolant et aux courbes inoubliables. Dans cette Angleterre en voie de libération des mœurs, le questionnement du corps devient un enjeu féministe. Cette fille incarne t-elle une libération de la femme en couchant avec pas mal de monde ? On ne peut que répondre que non. D'un parce qu'elle laisse profiter la clientèle de ses atouts pour quelques pourboires. De deux parce que cette liberté du corps ne lui permet pas de s'émanciper moralement. Elle reste soumise aux désirs masculins, se laissant entraîner dans des épousailles guère romantiques.
La relation sensuelle et rêvée qu'entretient Mike avec elle laisse place aux fantasmes en piscine aussi tendre qu'amusant. D'ailleurs, Deep End se veut la majeure partie du temps drôle. Au rang des scènes mémorables, notons une attente devant des établissements de peep show et une dispute dans le métro avec un mannequin de plastique très dénudé. Mais le cœur de l'intrigue se passe dans ces bains. Le pauvre garçon se fait presque violer par une dame aux propos footballistiques douteux. Et puis, la piscine cristallise tous les enjeux.
Le travail formel de Skolimowski dynamise ce film qui, quarante ans après, n'a rien perdu de sa fraîcheur. Sa caméra suit avec fluidité les mouvements, joue de quelques insert' tout en laissant chaque plan s'exprimer. Les teintes de rouges et le bleu chlore expriment la bipolarité même du film. D'un côté le jeu cru de l'attirance sexuelle et du drame de ce jeune homme, de l'autre la douceur émanant de la rêverie. Et puis, il y a cette chevelure rousse éclatante. En Jane Asher s'incarne toute la société rock des seventies. Celle des groupies de rock star, celle des drogues en vogue, celle des femmes militantes malgré les résistances. Il y a cette scène savoureuse, bien avant Taxi Driver, où Jenny est embarquée dans un cinéma porno avec son fiancé. Le machisme se retrouve cantonné à un statut de looser. Jenny s'amuse aussi bien des garçons que des autorités. Comme tout bon film militant, la figure du flic en prend pour son grade, tout en subtilité. Petite pépite méconnue, Deep End mérite une nouvelle chance.
Deep End, de Jerzy Skolimovski, avec Jane Asher, John Moulder-Brown, Karl Michael Vogler (G.-B., R.F.A., 1h30, 1971)
La bande-annonce de Deep End :