Un couple sous influence
Fragments de vies et exploration des hauts et des bas d'un couple, Blue Valentine offre des rôles en or et se frotte, un peu maladroitement, à John Cassavetes.
A bien des égards, Blue Valentine, errance par fragments sur un couple en perdition, rappelle aux bons souvenirs de John Cassavetes. L'inégalable Gena Rowlands trouve une belle héritière en la personne de Michelle Williams. La mère de famille courage mais imparfaite fait écho à une version moins folle de Mabel dans Une femme sous influence. Ryan Gosling (enfin reconnu à sa juste valeur) l'épaule, malgré ses tempes fuyantes où un début de calvitie se pointe. Blue Valentine n'a pas vraiment d'aboutissants, sauf montrer le déclin du couple. Celui de la routine silencieuse, du poids parental un brin pessimiste et du courage de tout à chacun de maintenir une unité tant bien que mal. Celui de donner sens au « pour le meilleur et pour le pire » du mariage. Le film serait un peu une version plus mature du guilleret 500 jours ensemble.
Pourquoi l'intrigue commence un matin plutôt qu'un autre ? Pour un détail : le clébard s'est enfui. Dans l'inconscient collectif - surtout américain-, le canin symbolise la solidité familiale. Si vous vous demandiez pourquoi on tue rarement les chiens dans les gros films hollywoodiens, vous avez votre réponse. Le couple subit les tourments rauques du traintrain à l'instar de la voix de Tom Waits dont est inspiré le titre du film. Dans une tentative désespérée, Gosling tente une soirée romantique un brin ratée. Une chambre futuriste, sans fenêtre, métaphoriquement sans oxygène. Derek Cianfrance évite le voyeurisme gênant et la surenchère pour ne garder que la substantifique moelle. On cadre surtout les visages, les instants de solitudes, Gosling caché derrière ses grosses lunettes et ses mains de peintre en bâtiment. La limite : accuser le coup de la virtuosité de Cassavetes. Les deux cinéates partagent une tendance à filmer avec les moyens du cinéma indépendant américain. Blue Valentine est porté par son étiquette Sundance.
Le réalisateur de Husbands savait laisser de la liberté. Elle n'apparaissait jamais artificielle. La maestria de la mise en scène créait naturellement des ressentis très forts et la place aux acteurs offrait se qui se faisait de plus beau au monde. L'aspect Sundance de ce Blue Valentine vient surtout alourdir les souvenirs. Une stylisation vaine ne fait que donner du grain à l'image. Heureusement que l'interaction entre passé et présent apporte une forme de subtilité. Elle s'incarne parfaitement dans le rôle du père de Michelle Williams. On le croit d'abord un peu mourant, puis on le revoit en père autoritaire pour se rendre compte qu'il ne rentre dans aucune case caricaturale. Gosling aussi profite d'un personnage complexe : père déconneur aux fantômes plus lourds, il illustre bien que le film n'accuse personne, ne règle aucun compte.
Plus que les images, Cianfrance affiche des mots forts pour montrer l'amour comme une fulgurance se voulant Phénix mais trop souvent vécue comme une vie d'Éphémère. Pas évident de ressentir un choc sur l'instant. Blue Valentine, bien loin des canons de la romance banale, explore plus le for intérieur. Il travaille après coup. Les maladresses ici et là font penser à un garçon pas très sûr de lui pour avouer ses sentiments à la fille qu'il désire. Pour certains, cela se solde par un râteau moqueur, mais, puisqu'il s'agit de toucher la corde sensible, le sourire de la jolie fille qui dit « oui » n'en est que plus beau. Si Blue Valentine ne déborde pas d'optimisme, il laisse assez de portes ouvertes pour lier cette histoire à la sienne.
Blue Valentine, de Derek Cianfrance, Ryan Gosling, Michelle Williams, Faith Wladyka (U.S.A., 1h54, 2011)
Sortie le 15 juin
La bande-annonce de Blue Valentine :